lundi 22 décembre 2025

DOCUMENT : LETTRE DE L'IMPRIMEUR PERRETTE A GASTON PICARD (14 NOVEMBRE 1911)

Il y a, dans l'histoire des "petites revues", une figure que l'on oublie trop souvent de citer, bien que quasi systématiquement mentionnée - discrètement, il est vrai - dans un coin, au bas de la dernière page d'un numéro ; sans doute parce que les questions matérielles et financières passent-elles bien après les préoccupations littéraires et artistiques ; sans doute aussi parce que le travail de l'écrivain ou du poète, frayant avec l'intelligence et la beauté, relègue-t-il dans l'ombre le travail de l'ouvrier qui le sert. Cette figure méprisée, c'est celle de l'imprimeur.

L'imprimeur - à bien y regarder - joua un rôle essentiel dans l'existence des jeunes revues, puisqu'il en fut l'administrateur parfois, le compositeur toujours. Et je pense ici à Lucien Linard, qui fut l'imprimeur de l'Abbaye de Créteil, où il avait installé un atelier typographique dans lequel les "abbés", Georges Duhamel, Charles Vildrac, Henri-Martin Barzun, Alexandre Mercereau travaillèrent et s'initièrent au métier d'ouvrier-typographe, et d'où sortit l'unique numéro double des Cahiers Mécislas Golberg. Je pense également à l'hommage que Saint-Pol-Roux rendit à Hector Menet, jeune employé de l'imprimerie Alcan-Lévy, qui composa les numéros de La Pléiade :

Mais je m’en voudrais de ne pas évoquer parmi ses frères de Brest le bon typo parisien Hector Menet qui, chez Alcan-Lévy, daignait consacrer des heures supplémentaires à composer La Pléiade, revue dont parlait Remy de Gourmont dans le Temps l’autre soir, La Pléiade fondée chez moi, 19, rue Turgot, il y a un quart de siècle. Pour amoindrir nos frais, car chacun des jeunes collaborateurs ne pouvait verser qu’une mince cotisation, Menet nous composait parfois en cachette. Un jour que je le visitais en compagnie de mon très vénéré maître Villiers de l’Isle-Adam, le bon typo nous confessa qu’il agissait ainsi par amour pour la poésie nouvelle dont mes amis et moi étions les annonciateurs – le Symbolisme naissait alors entre ses deux parrains Verlaine et Mallarmé. À présent que le Symbolisme, tant décrié alors, fait le tour du monde et qu’il triomphe officiellement en les personnes d’Henri de Régnier et de Maeterlinck, je suis heureux d’adresser par-dessus votre émotion mon souvenir de gratitude au bon typo Menet, lequel aima nos débuts de révolutionnaires et, sans jeu de mot, adoucit nos premières épreuves.

(Saint-Pol-Roux, "La Saint-Jean Porte-Latine", La Dépêche de Brest, 15 mai 1911, p. 2)

On a peu étudié, me semble-t-il, la correspondance des directeurs de revue avec leur imprimeur, correspondance, peut-être disparue ou dormant dans les archives, d'intérêt pratique et commercial, mais qui nous renseignerait certainement sur la vie matérielle des revues : leur tirage, leurs difficultés financières, leurs transformations, etc. La lettre, que nous publions ci-dessous, d'un imprimeur à un directeur de revue, prouvera peut-être qu'une histoire des "petites revues" ne pourrait être complète sans la connaissance des conditions matérielles de leur existence.

Fig. 1

L'Heure qui sonne, fondée et dirigée par Gaston Picard en novembre 1910, changea quatre fois d'imprimeur au cours de sa courte existence, le dernier numéro datant de janvier 1913. Ses cinq premières livraisons (Fig. 1) furent composées et imprimées sur les presses de l'Imprimerie Lenormand (35, rue Boisnet à Angers). Les numéros de 8 pages adoptent plutôt le format d'un journal, sans couverture, au papier fin et fragile. A partir du n° 6 d'avril 1911 (Fig. 2), c'est à l'Imprimerie de la Vie Moderne (83, 83bis et 85 Boulevard Soult à Paris) qu'est confiée la réalisation de la revue.

Fig. 2

Le nombre de pages y est doublé et les livraisons composées sur un papier plus épais se parent d'une couverture tout en sobriété. Visuellement, rien - hormis peut-être la police du titre - ne cherche à la rendre particulièrement attractive.

Fig. 3

L'Heure qui sonne mue en novembre de la même année (Fig. 3). Nouvelle peau, nouvel imprimeur. La revue, en effet, se veut plus ambitieuse et modifie son sous-titre, "Revue mensuelle des lettres", en "Revue d'avant-garde". Pour accompagner ce changement, Gaston Picard fait affaire avec l'Imprimerie commerciale Perrette (7, cours Jourdan à Limoges), aux tarifs sans doute plus avantageux que la parisienne Imprimerie de la Vie Moderne. C'est ce tournant que renseigne la lettre de l'imprimeur Perrette à Picard, annonçant l'envoi des exemplaires du premier numéro de la nouvelle série tout juste sortis des presses :

Ce 14 Novembre 1911
Monsieur Gaston Picard
77, Boulevard Saint-Michel
Paris

Nous vous faisons, ce soir, l'envoi des 500 exemplaires, n° 1, de L'Heure qui sonne, mis sous bandes.

A notre envoi, nous joignons quelques feuilles papier à lettre et quelques enveloppes. Veuillez nous dire si c'est bien là ce que vous désiriez ; la commande sera complétée immédiatement.

Nous espérons que la façon dont est présentée L'Heure qui sonne vous plaira. Le 2e numéro sera mieux encore ; quelques petits détails n'étant pas tout à fait au point.

Agréez, Monsieur, nos civilités empressées.

Perrette

Nous dire également si les bandes conviennent ; nous en imprimerions 5 ou 6.000, de façon à pouvoir compter moins cher.

N'oubliez pas les dépôts légaux : quatre numéros signés du gérant. Nous ne nous occupons donc pas de ces dépôts-là.

Cette deuxième série fit long feu et L'Heure qui sonne parut une dernière fois en janvier 1913, consacrant un numéro exceptionnel à Paul-Napoléon Roinard (Fig. 4) réalisé cette fois-ci par l'Imprimerie Jouve et Cie (15, rue Racine à Paris).

Fig. 4

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