[Titre : L'ILE SONNANTE - Sous-titre : Petite Revue des Lettres - Dates de publication : 5 novembre 1909 (n° 1) à décembre 1913 (n° 32) - Devenir : Est absorbée, en janvier 1914, par le Gay Sçavoir - Périodicité : mensuelle (= 10 numéros ; ne paraît pas en août et septembre) puis bimestrielle à partir de mai 1911 (n° 17) - Lieu de publication : Paris - Format : 143 x 226 mm - Couverture : imprimée en rouge (titre) et noir sur couverture crème - Pagination : entre 24 et 48 pages ; pagination suivie - Prix et abonnements : Le numéro = quarante centimes, puis soixante centimes à partir de mai 1911, puis soixante-quinze centimes à partir de février 1913 ; Abonnement (La série de 10 numéros) = 3 francs ; puis à partir de février 1913 (6 numéros annuels) = 4 francs (France et Étranger) - Directeur-Gérant : Michel Puy - Direction (à partir de février 1913) : Tristan Derême, Roger Frêne, Michel Puy - Comité de rédaction : Charles Callet, Francis Carco (jusqu'en février 1913), Tristan Derême (à partir du 5 mai 1910), Léon Deubel, Roger Frène, Édouard Gazanion (à partir du 5 octobre 1910), Jean-Paul Lafitte (jusqu'au 5 mai 1910), Louis Mandin, Marcel Martinet (à partir de juillet 1911), Louis Pergaud, Michel Puy, Daniel Thaly (à partir du 5 mai 1910), Albert Vidal, Paul Vimereu (à partir du 5 octobre 1910) - Collaborateurs [liste exhaustive] : Albert-Jean, René d'Avril, Jean-Marc Bernard, Paul-Hippolyte Bernier, Victor Bonnans, Henri Bourjade, Jean Bruant, Auguste Callet, Charles Callet, Francis Carco, J. Roger Charbonnel, Lucien Christophe, Claudien, Émile Cottinet, Joseph Dalby, Henri Delisle, Tristan Derême, Henry Dérieux, Léon Deubel, Fernand Divoire, Georges Duhamel, Joël Dumas, Richard Dupierreux, Francis Eon, Serge Evans, Jean Fabre, Honoré Féa, Maurice de Faramond, Jacques Ferrier, Jean Ferval, Albert Fleury, Pierre Fons, André Foulon de Vaulx, Gabriel-Tristan Franconi, Roger Frène, Édouard Gazanion, A.-M. Gossez, Gabriel-Joseph Gros, Gaston Guilleré, Louis Haugmard, Jean-Paul Lafitte, André Lafon, Roger Lalli, Guy Lavaud, Paul Lœwengard, Léo Loups, Louis Mandin, Marius Martin, Marcel Martinet, Henri Martineau, George-Merize, Jean Metzinger, Marcel Millet, Eugène Montfort, Maurice Morel, Jules Mouquet, Henry Muchart, Julien Ochsé, Louis Payen, Cécile Périn, Louis Pergaud, Edmond Pilon, Marcel Prouille, Michel Puy, Lucien Rolmer, Georges Rouault, Han Ryner, André Salmon, René Schmickrath, A.-R. Schneeberger, Jacques Sermaize, Pol Simonnet, Marc Stéphane, Henri Strentz, Daniel Thaly, Louis Thêne, Toto chat [pseud. de Louis Pergaud], Georges Tournefeuille, Théo Varlet, Léon Vérane, Eugène Viala, Albert Vidal, Charles Vildrac, Paul Vimereu, Tancrède de Visan, Émile Zavie - Adresse (direction) : 21, Rue Rousselet, Paris - Administration (adresse à partir de février 1913) : G. Crès et Cie, Éditeurs, 3, place de la Sorbonne, Paris - Gérant : Michel Puy - Imprimeur : Imprimerie Carrère (Rodez) ; puis à partir du n° 7 (5 mai 1910) : Imprimé sur les presses de l'Imprimerie Nouvelle G. Clouzot (Niort)]
L'ILE SONNANTE
N° 1 (5 novembre 1909)
[Date de publication : 5 novembre 1909 - Couverture : Série (1re), Numéro, Date, Titre (en rouge), Sous-titre, Périodicité (Paraissant le 5 de chaque mois), Sommaire, Prix du numéro, Adresse - 2e de couverture : Titre, Sous-Titre, Comité de Rédaction, Adresse ("Adresser toutes les communications à M. Michel Puy, 21, rue Rousselet, Paris (VIIe)", Rédaction ("Le deuxième dimanche de chaque mois, de 4 à 7 heures), Mentions ("Les auteurs sont seuls responsables de leurs articles" / "Les manuscrits seront retournés aux auteurs qui en feront la demande, mais l'Administration de la Revue décline toute responsabilité en ce qui concerne les manuscrits qui viendraient à être perdus ou détruits."), Abonnement - 3e de couverture : Livres récents (liste), Publicité (Le Courrier de la Presse) - 4e de couverture : muette - Bas de Page 248 : Gérant, Imprimeur - Pagination : 32 pages]
M[ichel]. P[uy]., R[oger]. F[rène]. : L'Île Sonnante, manifeste (p. [1]-5)
Léon Deubel : Mélodie vespérale, poème (p. [6])
Louis Pergaud : L'Horrible Délivrance, conte (p. [7]-12)
Charles Callet : Les Princes des Hommes, aphorismes (p. [13]-15)
Francis Carco : Eau-Forte, poème (p. [16])
Roger Frène : L'épisode métaphysique, poème (p. [17]-20)
Michel Puy : Littérature et Protestantisme, essai [à propos de La Porte étroite d'André Gide] (p. [21]-27)
Auguste Callet : Notes et Souvenirs, notes [en note : "Ces notes curieuses datent de 1827, elles dormaient enfouies dans les papiers d'un écrivain du siècle dernier, Auguste Callet, dont j'ai rappelé la vie en une récente plaquette : Un oublié du XIXe siècle. / Aug. Callet collaborait alors à la Gazette de France ; M. de Genoude, directeur de ce journal, était l'un des chefs les plus en vue du partie légitimiste et son jeune collaborateur se trouvait particulièrement bien placé pour connaître les dessous de bien des questions, les petitesses de bien des hommes. / Ch[arles]. C[allet]."] (p. [28]-32)
Il y a des livres si vastes qu’ils ont fourni d’exemples et d’idées des générations de prêtres, de penseurs et de savants, et leur ont permis d’assurer les fondations des doctrines les plus contradictoires, des systèmes les plus inconciliables. Depuis des siècles, la Bible alimente les religions et les morales des peuples très différents par leurs mœurs et par leurs croyances. Dante, avec ses allures prophétiques et l’obscurité de ses formules, en fût devenu le prolongement, si l’origine de sa Divine Comédie s’était perdue dans l’histoire et que les hommes l’eussent placée dans les âges légendaires. Plus près de nous, l’aventurier Casanova, si des cataclysmes révolutionnaient l’existence de l’humanité, et qu’après des époques d’oubli, son livre surnageât, apparaîtrait comme le Messie ou le demi-dieu d’un nouveau paganisme, et plus tard, des philosophes, le suivant dans ses voyages, s’appliqueraient à y retrouver les phases du soleil.
Rabelais, par ce qu’il a d’étonnant, d’outrancier et de colossal, agit violemment sur les imaginations. Il est capable, comme la nature elle-même, d’inspirer les productions artistiques les plus variées et il n’est pas d’ouvrage qu’il ne puisse enrichir à la rigueur d’une préface ou d’une épigraphe. Puisque des journaux ont trouvé leur nom chez Lesage ou chez Beaumarchais, ce ne sera pas outrepasser nos droits que de demander à l’auteur du Pantagruel le titre de cette revue.
Il est vrai que chez lui l’Île Sonnante figure l’Église catholique. Mais le « monde des lettres » peut être comparé à une Église, et ce n’est pas par un simple hasard verbal qu’on lui attribue des pontifes, des donneurs d’encens et des petites chapelles. La foi artistique y prend toutes les formes d’une religion, qui a sa doctrine, ses hérésies et ses schismes. Sans doute, ses grands prêtres ne s’entendent pas sur le nom d’un papegaut, mais c’est que chacun d’eux veut conserver pour lui-même le droit d’excommunier tous les autres. Église qui s’isole, elle aussi, splendidement comme une île au milieu des mers : de toutes ses tours, ses clochers et ses beffrois, s’épanche le vacarme des bourdons que des sonneurs attaquent sans lassitude pour annoncer la gloire de leurs confréries. Bruit formidable, bruit terrifiant, bruit vain qui n’a pour résultat que d’assourdir ceux qui le mènent ; car dans chaque sanctuaire les cloches s’agitent avec tant de fracas que les sonneries des sanctuaires voisins n’y arrivent pas, et l’Île est si souvent bloquée par le brouillard qu’il est bien rare que, par un jour éclatant d’été, dans la durée d’une éclaircie, quelques sons perdus en parviennent jusqu’aux rivages des continents engoués d’affaires, de préséances et de profits.
Nous assistons dans notre petit assortiment de revues littéraires à des scènes amusantes d’exclusivisme. Les groupes y sont d’une solidarité, d’une défense effroyables. Nulle compromission hors de la nef ; fidélité à la paroisse, lutte à l’hérésie ! Un indépendant, un libre-penseur est ici un être faible par définition, et quand une revue se fait éclectique elle perd couleur et accent, – raisons vitales. Nous nous garderons de cet écueil, par convenances, d’abord, car la lutte est de mise et il faut déployer un drapeau, – non une bannière. Il nous arrivera de porter aussi nos icônes sans sourire. Mais alors que va-t-il être de notre petite Île et comment la gouverner ? Nous laisserons fléchir peu à peu ce souci pressant des principes ; ô poètes, il faudrait essayer de pratiquer tout simplement l’anarchie des théories et des goûts, puisqu’elle réussit généralement assez bien au royaume rebelle des écrits, et plus tard, s’il nous advient d’écrire convenablement une page, nous ne chercherons pas à établir pour des confrères les lois qui les conduiraient à une bonne imitation.
Cette revue qui s’appelle l’Île Sonnante aurait pu tout aussi bien s’appeler le Sentiment. La plupart de ses rédacteurs ne croient très fermement à aucune théorie. C’est moins, en effet, l’enveloppe extérieure – vers libre, libéré ou régulier – qui compte et peut servir à définir un poète que sa matière poétique. Il ne s’agit pas de voir si son vers se classe dans tel genre, s’emboîte dans telle formule, mais comment il s’assouplit et se modèle sur la pensée et l’habille avec fidélité pour la présenter, toute neuve et naturelle, dans son caractère original. On a vite fait d’acquérir une réputation de novateur en adoptant, sans critique et sans choix, les formes d’art les plus récentes. Mais, dans tous les arts, les formes extérieures ne sont que les signes, souvent mensongers, de la personnalité. Les accords de sons et de couleurs en apparence les plus inédits ne couvrent parfois que la substance la plus inerte, ou déguisent une banalité de pensée irrémédiable. Quelle émouvante surprise pour le dilettante quand cette enveloppe extérieure qui, d’abord, ne retenait pas l’esprit prend peu à peu figure devant lui et révèle cette essence de la beauté qui dépasse les formules, ce quelque chose qui ne peut être ni classé ni défini et par lequel l’œuvre d’art, sortant des limites d’une technique habile, réveille les possibilités les plus ignorées de la sensibilité, ce quelque chose qui échappe au raisonnement et que le maître n’enseigne point au disciple, en un mot le SENTIMENT.
Les formules d’ailleurs se renouvellent tous les jours, et chacun y aide selon ses moyens, à moins qu’un grand poète n’édicte tout à coup des tables nouvelles, ce qui ne semble pas devoir se produire de nos jours. Le talent foisonne, dit-on. Est-ce bien sûr ? En ce cas, contentons-nous du talent. Ou plutôt mettons tous nos soins à réaliser notre œuvre et ne prétendons pas au génie. Car qui pourrait dire exactement quel est le jour où le génie d’un Verlaine ou d’un Mallarmé commence à s’éclairer devant la jeunesse fervente de poésie ? Les poètes de leur âge ne les ont point reconnus. Mais un beau poème, comme un parfum choisi, a de lointains arômes et de vigoureux prolongements.
On sait le rôle prépondérant des petites revues dans le mouvement littéraire de ces dernières années ; on peut dire qu’elles constituent, quoique souvent bien mélangées, ce mouvement lui-même dans ce qu’il a de désintéressé, de rare et de valable. L’Île Sonnante, après tant d’autres, n’a que le désir de manifester les rythmes d’un groupe lié d’amitié, apte à s’élargir et chez lequel la diversité des formes n’est pas une raison d’exclusivisme.
Ce groupe n’est pas composé de débutants ; non plus de vétérans de lettres. À quelque exception près, ceux de ses membres, qui n’ont pas dépassé la trentaine, sont sur le point de l’atteindre. C’est l’âge de l’activité et – pourquoi ne pas le dire ? – de la possession de soi-même. Nous ne prétendons pas que cette fragile revue le démontrera de façon péremptoire. Nous l’avons voulue brève, mais, autant que possible, significative, sachant bien que les meilleurs fascicules de revues ne sont pas nécessairement les plus gros. Il semble qu’au contraire la presque totalité des revues importantes de l’heure actuelle soient faites pour dégoûter un ami des lettres. Presque aucune œuvre originale n’y est publiée ; ce sont de misérables romans ou d’ennuyeuses critiques, des vers commandés à un versificateur en renom ou les bégaiements rythmiques du nouveau venu qu’on veut pousser. On trouvera ici, comme dans toutes les revues dites jeunes, des œuvres, inégales peut-être, mais très franches dans les moyens et dans le but qu’elles avouent : nous sommes des poètes et des esthéticiens, et si nous écrivons, c’est moins dans la pensée d’atteindre un public dont nous respectons l’indifférence, que pour nous procurer, les uns par les autres, cette émulation qui s’accompagne toujours de cordiale et nécessaire critique, et pour provoquer ce rapprochement joyeux des esprits qui est un des plus nobles plaisirs de la vie intellectuelle.
M. P., R. F.