On ne se souvient peut-être plus très bien d'Adolphe Lacuzon (1869-1935), poète du septentrion qui connut une renommée certaine en fondant au début du siècle précédent une nouvelle école : L'Intégralisme. Son lancement, par un manifeste dans La Revue Bleue du 15 janvier 1904, fit du bruit et Lacuzon eut une influence notable sur plusieurs écrivains au moins jusqu'à la déclaration de guerre. Florian-Parmentier lui consacre une dizaine de pages dans son Histoire contemporaine des lettres françaises de 1885 à 1914 (Paris, Figuière, [1914]) et Frédéric Lefèvre, dans sa Jeune poésie française (Paris, Rouart et Cie, 1917), célébrera l'Intégralisme sur plus de soixante-dix pages, lui dédiant un quart de son volume. Si mon propos, ici, n'est pas de présenter et de définir ce mouvement poétique, il faut préciser toutefois qu'il ne s'agissait guère d'une avant-garde mais plutôt d'une nouvelle réaction au Symbolisme et à ses prétendus écarts. Lacuzon ne condamne pas le vers-libre mais ne le pratique pas ; il s'inscrit dans une tradition liant intuition, inspiration, poésie et connaissance du monde. Avant d'être lui-même chef d'école, il avait participé au volume collectif de l'école française, La Foi Nouvelle (Paris, Bibliothèque-Charpentier, 1902), recueil anthologique qui réunissait des poèmes d'Edmond Blanguernon, Adolphe Boschot, Pierre de Bouchaud, Georges Normandy, Louis Payen, M.-C. Poinsot, Robert Randeau, Han Ryner, etc. L'ouvrage s'ouvrait sur un "manifeste" dont voici la conclusion : "Le groupe entend se soustraire aux influences de coteries, réintégrer en quelque sorte la santé dans l'art, s'étendre du centre à la province, et faire appel à toutes les énergies intellectuelles de la race française."
Les documents qui nous occupent aujourd'hui sont toutefois antérieurs à La Foi Nouvelle et à l'Intégralisme. Lacuzon avait d'ailleurs commencé à publier bien avant dans des revues. On trouve , par exemple, son nom dans La Grande Revue Paris et Saint-Pétersbourg, dès 1892, dans La Revue Septentrionale, le Mercure de France, La Nouvelle Revue, avant que le siècle dix-neuvième ne s'achève. Mais c'est à une autre revue que les lettres que nous reproduisons ci-dessous rattachent son nom. Revue qui ne nous est pas inconnue puisqu'il s'agit des Partisans (1900-1901), fondée et dirigée par Paul Ferniot et Paul-Redonnel, dont nous avons mis en ligne le sommaire détaillé des huit premières livraisons. La première des deux lettres qu'on va lire attire notre attention sur un élément essentiel des revues : leur titre. Un titre, c'est évidemment tout un programme, et l'éditorial ou le manifeste qui ouvre généralement le premier numéro doit en donner la clé. Paul-Redonnel ne dérogea pas à la règle et développa son titre dans "La Parade" : "Nous sommes des partisans parce que nous sommes indisciplinés et que nous allons au combat quand il nous plaît..." Le titre et son explication attirèrent l'attention de Lacuzon qui en revendiqua la paternité dans une lettre à Redonnel qui doit dater de la fin novembre ou du tout début décembre 1900. Car en plus d'être tout un programme, un titre est ou fait aussi toute une histoire. Sa genèse, son inventeur, ont leur importance dans l'histoire des revues. On se souvient par exemple du duel qui opposa Louis Pilate de Brinn'Gaubast à Rodolphe Darzens en 1889, le premier ayant repris le titre La Pléiade à la revue que le second avait dirigée trois ans plus tôt. La courte polémique - et rapidement réglée - qui opposa Lacuzon à Redonnel n'eut pas, comme on va le voir, de résolution aussi violente.
Monsieur et cher Confrère,
J'ai connaissance de l'apparition des deux premiers n° des Partisans, revue que vous dirigez, et dont je demeure indirectement le parrain puisque c'est à moi qu'il advint de trouver un titre au groupe initial dont votre revue a emprunté le nom.
Étant donné que je reste le seul parmi mes camarades, qui ne soit point signalé dans les divers avant-propos des Partisans, et qu'à l'encontre de ce qui a été fait pour tous, aucun n° spécimen ne m'a été adressé, voulez-vous me permettre, Monsieur et cher Confrère, de vous demander naïvement si cette double abstention doit conserver à mes yeux son caractère apparemment intentionnel, destiné peut-être à m'enseigner l'éloignement d'une revue où ma présence aurait paru inutile ou fâcheuse ?
Ajouterai-je tout de suite pour que cette lettre ne puisse assumer aucune signification explétive [?], que je n'ai point de copie à caser, et que ma démarche est toute et simplement de convenance privée. J'ai l'horreur des situations fausses ; votre courtoisie aura tôt fait de me mettre à l'aise en me fixant sur des sentiments dont cette éventualité me dissimule encore la nature, mais que, par avance, je respecte en vous.
Recevez, Monsieur et cher Confrère, l'expression de ma considération distinguée.
Adolphe Lacuzon21 Bd St Michel
De quel "groupe" ayant précédé la parution de la revue et réuni plusieurs de ses collaborateurs parle Lacuzon ? Je l'ignore. Notons toutefois que deux des chroniqueurs des Partisans mentionnés dans l'avant-propos, "Sur les matières qui seront traitées régulièrement...", feront partie de l'école française : Gabriel Tallet et Han Ryner. On peut donc supposer qu'il exista un groupe qui s'était baptisé, à l'initiative d'Adolphe Lacuzon, les "Partisans" et d'où sortit peut-être l'idée d'une revue. Redonnel en fit-il partie ou en avait-il connaissance ? Le réclamant semble le laisser penser. Par ailleurs, sa deuxième lettre au même paraît le confirmer, le destinataire dont manquent les réponses n'ayant apparemment pas souhaité polémiquer.
lundi 10 Xbre 1900
Monsieur et cher Confrère,
Je vous remercie de votre lettre cordiale et suis heureux de pouvoir à mon tour vous assurer de mes meilleurs sentiments. J'ai provoqué cette petite explication afin de ne pas prolonger ridiculement un malentendu dont une bonne poignée de mains devait être le geste de résolution. Voilà qui est fait.
Je passerai vous voir à la revue un de ces jours, et, quelque autre jour, j'affirmerai mes bonnes intentions et mon dévouement à la caisse des Partisans en vous priant d'agréer de ma prose en vos colonnes.
Croyez, en attendant, à ma sympathique estime.
Adolphe Lacuzon
21 Bd St Michel
Merci pour les n° que vous devez me faire adresser.
Tout est bien, donc, qui finit bien. A ceci près qu'aucune ligne de Lacuzon ne parut jamais dans les Partisans et que son nom n'y fut jamais cité. Il est vrai que la revue devait définitivement s'interrompre le 20 mars 1901, jeune de 10 livraisons à peine.
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