La plupart des numéros d'Eurydice qui composent notre collection proviennent de la bibliothèque du poète Francis Eon (1879-1949) que nous avions déjà eu l'occasion de présenter succinctement ici. Collaborateur régulier du Divan d'Henri Martineau et partisan d'une poésie traditionnelle, il paraissait logique qu'Eon fût en relation avec les rédacteurs d'Eurydice. On s'étonnera néanmoins que son nom n'apparaisse dans aucune des vingt-trois livraisons dont le sommaire a déjà été détaillé en ces lieux. Francis Eon ne fut pas moins surpris de son absence. C'est en tout cas ce que nous apprend le brouillon de lettre que nous reproduisons ci-dessous et que le poète glissa dans son exemplaire du n° 23 de la revue. Il avait en effet adressé plusieurs mois plus tôt des vers à Eurydice, qui les retint mais omit de les faire paraître au désespoir de l'auteur. Cette lettre illustre un aspect de la vie des revues que nous n'avions pas encore documenté : l'impatience et le mécontentement des collaborateurs.
Poitiers, 5 novembre 1936.
Monsieur et cher confrère,
Je vous prie de ne point considérer cette lettre comme une réclamation, une protestation, ou toute chose horrible en tion.
Mais enfin ! je fais le point.
- Vers la fin de l'hiver 1935, je vous envoie des vers. Oui, je le reconnais, c'est moi qui vous ai attaqué. Alors vous me dites, en substance : oui. Mais j'aimerais mieux ceux que vous avez adressés à Nicolas Beauduin.
Puisque en toute raison, comme en toute constance.
- Bon. Alors je reprends cette pièce à Martineau, à qui je l'avais donnée pour le Divan, et je vous la donne à vous. Les mois passent,les numéros d'Eurydicetoujours noble au restene se perd pas le moins du monde,maisje la retrouve aussinoblepure à chaque numéro ; sans yliredécouvrir toutefoisdu/une ombre/ le moindre Francis Eonle moins du monde.
En septembre, le sonnet - septembre 1936 -, je vous prie de me dire ce que vous comptez en faire, de ce petit poème que vous affectionniez jadis. Sur quoi Pierre Pascal : "Oui, mais ces vers ne sont plus de saison. Voici l'automne. Vous pensez. Donnez m'en d'autres des vers ; je les publierai dans un fasciculechoiside choix qu'honorera le nom de Charles Maurras."
Et je vousproposeprescris quelques quatrains. Auparavant, j'avais pris soin de les soumettre à quelques amis sûrs, entre lesquels comme Henri Martineau,parfoissouventsévère et désespérant, mais toujours juste, - Yves-Gérard Le Dantec. L'un et l'autre se déclarent satisfaits, et me jugent "admissible" quoi ! Je suis bien tranquille alors. - Encore que je vous aie prié de me fixer, et le plus tôt, sur le sort demacette copie troisième, vous ne soufflez mot. Entre tous [ou : temps], ma foi, je lâchecertainsq.q. uns de ces quatrains aux Nouvelles littéraires qui s'en emparent.Par correction, jevouscrois devoir vous en proposer quelques autres, en remplacement. J'insiste pour savoir, bien inutilement ; et voici que ce matin m'arrive Eurydice septembre-octobre MCMXXXVI, magnifique certes, avec le Maurras annoncé, mais sans ombre d'Eon Francis.
Mon cher confrère, vous avez parfaitement le droit de ne pasaimeradmirer mes vers, ou ceux que je vousproposeoffre. Mais j'eusse aimé que vous me le disiez clairement et tout de suite, au lieu de m'amuser ainsi dix-huit mois. Vous allez me répondre sans doute : ... vous comprenez,je n'aimais pastous ces alexandrins ne m'ont pas enchanté. - Très bien ! - Pourquoi pas dès février, ou mars, 1935 ?...
Je ne me fâche pas, ce serait malpoli. Je vous parle franchement et c'est tout. A l'occasion, je ferai mon possible pour servir votre beau nom, comme je l'ai fait quand vous avez publié l'ode au Dunkerque, pour laquelle j'ai fait 10 visites et rédigé 14 textes : cela n'a pas donné grand chose peut-être, mais j'ai fait le possible, mon possible à moi.
Veuillez accueillir, ... mes sentimentstoutcordiaux et tout dévoués.
Nous ne connaissons pas, malheureusement, la réponse que fit Pierre Pascal à la juste réclamation de l'éconduit Francis Eon. Mais les numéros suivants de la revue nous permettent de donner un épilogue à ce contentieux. Le directeur d'Eurydice se sentit-il quelque peu coupable ? On peut le croire, puisque tous les vers qu'Eon avait adressés à Pascal parurent dans le n° 26 (mars-avril 1937), y compris le fameux sonnet printanier redevenu de saison. La dette fut donc réglée... et avec intérêt. En effet, bien que son atermoiement plaidât en faveur d'un goût modéré pour les vers de Francis Eon, Pierre Pascal en publia quelques-uns encore dans le n° 30-31 (novembre 1937 - février 1938) en hommage à Raymond de La Tailhède.
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