Louis Mandin :
Les Revues [Avoir une trentaine de revues à parcourir, cela fait d'abord un peu peur, mais c'est une occupation qui a des charmes ; et je n'en connais pas de meilleure pour nous réconcilier avec l'humanité, quand nous la voyons trop en noir. Certes, on trouve dans les jeunes revues des sottises flagrantes, des erreurs grossières, et le mauvais y va souvent jusqu'au pire. Mais on y trouve aussi tant de talent ignoré, - il y a dans ces pages qui ont coûté des efforts et de l'argent (car, en notre siècle de lumière, le talent littéraire paye plus souvent qu'il n'est payé), il y a, dis-je, tant d'héroïque et confiante bonne humeur dans ces pages inconnues de la foule, qu'elles nous consolent de vivre dans un monde où opèrent effrontément, en plein soleil, le mercantilisme et la platitude des marchands de lettres tels que les Brisson les
(bande découpée amputant la chronique de 4 lignes p. 25 et 26) [...] que je ne ferai guère, pour cette fois, que citer des noms et des sommaires. Les commentaires m'entraîneraient hors des limites permises à cet article. / D'abord, deux grosses publications. Voici la
Revue, avec
Le Modelé et le Mouvement dans l'art, commentaires de Paul Gsell, d'après Rodin, et le
Siège de Paris, documents inédits par Marcel Laurent ; - et voici le
Mercure, avec une étude sur Rimbaud et Verlaine, par Paterne Berrichon,
Deux entretiens de Tolstoï sur la Révolution, par L. N. Goussiew, et le Poème du Vin, par Marie Dauguet. / Le dernier tome de
Vers et Prose contient des pages de Jules Renard, intéressantes comme toujours, des poèmes de Verhaeren, H. de Régnier, Edmond Gojon, A. F. Hérold, Fernand Ochsé, Albert Saint-Paul, André Salmon ; un conte poétique de Julien Ochsé.
Études de Jean Moréas sur Charles Guérin, de Jean Viollis sur Charles-Louis Philippe, d’Émile Bernard sur Elémir Bourges. / La
Phalange. En tête, un remarquable article de Jean Royère,
La Poésie actuelle. Des vers de Verhaeren, Jammes, Sébastien-Charles Leconte, Guy-Lavaud ; un bon conte de Louis Pergaud. / Les
Marges. Quelques appréciations très justes d'Eugène Montfort sur la littérature. Des extraits montrant l'esprit de Jean Dolent. / La
Rénovation. Pages émues d’Émile Bernard, vers plastiques d'Edmond Gojon. / La
Nouvelle Revue française. Tous les articles d'André Gide sont à citer. Dans le dernier numéro, Henri Ghéon publie un article très judicieux sur le vers libre. / La
Société nouvelle. Jules Noël traite de l'athéisme, et Léon Legavre de la théâtromanie. / La
Revue du temps présent, une des meilleures, donne des "notes sur Henri de Régnier, prosateur", par François Mauriac, et des vers très poétiques d'un auteur que nous ignorions, Dominique Combette. / Le
Feu, qui demeure la première des revues paraissant en province, publie des vers d’Édouard Gazanion, un poète d'avenir qui s'obstine, bien à tort, à ne donner presque rien aux revues. /
Pan. Le
Goût du néant, conte saisissant de Marcel Rieu ; Les
Belles au bois dormant, de Georges Polti ; des vers et des proses de P. Tournier, Legrand-Chabrier, Emile Cottinet, Henri Hertz, etc. / [(bande découpée - voir plus haut) ...] / Le
Thyrse. Article documenté et intéressant de M. Maurice Kunel :
Hugo et Baudelaire en Belgique. / La
Revue des Lettres et des Arts. Jacques Reboul termine son étude sur Ramond, "un grand précurseur des romantiques". Des vers. / Les
Bandeaux d'or. On y rencontre Paul Castiaux, Jouve, Théo Varlet, Georges Périn, R. Allard, Vildrac, Arcos, Duhamel, Canudo, Mercereau, etc. / Et voici les revues fondées depuis peu, mais qui n'en montrent que plus de vitalité. /
L'Ile sonnante. Ses habitants raisonnent volontiers comme des sages, ce qui ne les empêche pas de chanter en poètes. Ont collaboré au dernier numéro : Louis Haugmard, Louis Pergaud, Fernand Divoire, Roger Frène, Charles Callet, etc. / La
Flamme, une des meilleures parmi les jeunes revues, s'est assurée la collaboration régulière du grand polémiste Léon Bloy. Elle publie des vers de Salmon, Joël Dumas. D'Yvermont y parle des lettres étrangères. /
Arlequin a l'esprit malicieux. Il blague agréablement les plumifères "dont monsieur Deschamps recommande le style". M. Georges Batault, dans un article sur "la loi de l'art et l'impuissance de la tradition", développe d'excellentes idées. / Dans l'
Art libre, M. Henri Dérieux étudie l’œuvre de Léon Dierx. Poèmes de Guy-Charles Cros, René Arcos, Joseph Billiet. / Les
Rubriques nouvelles, pleines d'enthousiasme poétique : au dernier numéro,
Les manuscrits de Flaubert, par Henri Seckel,
La Folie du Tasse, par Nicolas Beauduin,
Les Os du mort, apologue oriental, par d'Yvermont. / Les
Argonautes sont surtout consacrés aux poèmes. Le
Centaure, qui se rattache au naturisme de Saint-Georges de Bouhélier, réunit les noms de Léon Dierx. Gustave Kahn, d'Yvermont, Abadie, Albert Fleury... La
Mêlée, qui s'annonce comme une revue combattive, publie un sonnet d'Alexandre Arnoux. Dans
Schéhérazade, un article de Mme Marcelle Tinayre et des vers de tout le monde : il en est même qui sont bons. / L'
Aube paraît à Alger. M. Trenga y disserte sur la langue punique. / A signaler encore : les
Guêpes, trop politiciennes, mais qui nous sont sympathiques par leur ardeur ingénue, et même par cette douce illusion qu'elles ont d'être très méchantes, illusion qu'il faut leur laisser, parce qu'elle les rend fières, - les
Actes des Poètes, qui font profession de mépriser bravement tout ce qui se publie hors de chez eux. C'est un sentiment bien humain, et qui ne fait de mal à personne. Mais ces jeunes poètes sont mal informés. Qui donc leur a enseigné à confondre
Isis avec la
Phalange et à prendre le
Beffroi pour une revue symboliste ? / Je remarque que la plaquette de Vildrac et Duhamel sur la technique poétique a été très commentée et a ravivé la vieille dispute du vers libre et du vers traditionnel. C'est un sujet auquel nous reviendrons.
] (p. 25-27)
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