dimanche 12 juin 2011

L'OCCIDENT N°1 - DÉCEMBRE 1901

[Titre : L'OCCIDENT - Dates de publication : Décembre 1901 (n°1) à juillet 1914 (n°140) - Périodicité : mensuelle (ne paraît pas en 1911) - Lieu de publication : Paris - Format : 170 x 250 mm - Couverture : imprimée en bleu, puis gris couverture grise - Pagination :  48 à 64 pages ; pagination suivie - Prix et abonnements : Le numéro = Un franc ; Abonnement (France) = 12 fr. ; (Étranger) = 14 fr. - Directeur : Adrien Mithouard - Secrétaire de la Rédaction : Albert Chapon - Collaborateurs (liste non exhaustive) : François-Paul Alibert, G.-Jean Aubry, Jean Baffier, Maurice Barrès, Giovanni Pietro Bellori, Émile Bernard, Jean-Marc Bernard, Henry Bidou, Joseph de Bonne, Jean de Bosschère, Henri Brémond, Edmond de Bruyn, Ricciotto Canudo, René de Castéra, René Chalupt, Ernest Champeaux, Paul Claudel, Henri Clouard, Albert Cloüart, Dominique Combette, Dante Alighieri, Maurice Denis, Henry Dérieux, Georges Dralin, Édouard Ducoté, G. Ducrocq, Louis Dumont-Wilden, Fagus, François Fosca, Alphonse Germain, Henri Ghéon, André Gide, Fernand Gregh, Maurice Griveau, P. Hepp, Paul Heurteroy, Henri Hoppenot, Vincent d'Indy, Edmond Jaloux, Francis Jammes, Pierre Jaudon, Job, Des Joncherets, Tristan Klingsor, Marcel Labey, Jules Laforgue, Guy Lavaud, Louis Le Cardonnel, André Lebey, Paul Leclercq, Legrand-Chabrier, Pierre Lenz, F. L., Eugène Marsan, Henri Martineau, P.-L. Maud, Henri Mazel, André Mellerio, O. W. de L. Milosz, Francis de Miomandre, Adrien Mithouard, Albert Mockel, Charles Morice, Victor Mottez, Z. M., Raoul Narsy, Maurice de Noisay, Paul Nothomb, Maurice des Ombiaux, Fernand Passelecq, André Pératé, Charles-Louis Philippe, Georges Polti, François de Poncher, Armand Praviel, Jean de Quirielle, Ernest Raynaud, Henri de Régnier, Georges Rémond, Josué Reynolds [trad. Émile Bernard], W. Ritter, Jacques Rivière, Lucien Rolmer, Eugène Rouart, Louis Rouart, Colin Saint-Gal, Michel Salomon, Sandricourt, Jean Schlumberger, Solrac, André Sonal, Jean Soury, Henri Strentz, André Suarès, Robert de Souza, Louis Thomas, Paul-Jean Toulet, Pierre Valbranche, Paul Valéry, Robert Vallery-Radot, Maurice Vallis, Jean-Louis Vaudoyer,Émile Verhaeren, Henri de Veyras, Francis Vielé-Griffin, Tancrède de Visan, Willy, Walt Whitman - Ornements : Maurice Denis - Gérant : Albert Chapon - Adresse : 17, Rue Eblé, Paris Imprimé sur les presses de l'Imprimerie Durand, Rue Fulbert, Chartres - Source : Revues Littéraires]
L'OCCIDENT
N°1 (Décembre 1901)
[Date de publication : Décembre 1901 - Couverture (imprimée en bleu) : Numéro, Date, Titre, Illustration (arbre), Prix, Adresse de la Rédaction - 2e de couverture (imprimée en bleu) : Titre, Périodicité, Adresse de la Rédaction et de l'Administration, Secrétaire de la Rédaction, Mention ("Le Mardi, 9 heures à 11 heures du matin"), Mention ("Tous les manuscrits doivent être adressés au Secrétaire de la Rédaction"), Prix de l'Abonnement - 3e de couverture : muette - 4e de couverture : muette - Page [1] : Sommaire - Page [2] : muette - Pagination : 48 pages]
Sommaire
Adrien Mithouard : De l'Occident (p. [3]-7)
Vincent d'Indy : L'Artiste moderne (p. 8-16)

Tristan Klingsor : Lieds, poèmes (p. 17-18)

Charles Morice : Le Dernier Temple, conte (p. 19-28)

Raoul Narsy : Jules Renard (p. 29-31)
Henri Mazel : La Mort de Pythagore, théâtre ["Fragment du second acte d'Archytas de Métaponte"] (p. 32-36)

Louis Rouart : Maurice Denis et la renaissance de l'art chrétien (p. 37-42)
Maurice Denis : Le Peintre de Beaune (p. 43)
*** : Notes [On nous annonce que M. Brieux va profiter des loisirs que lui crée l'interdiction des "Avariés" pour porter au théâtre diverses questions intéressant l'hygiène publique... ; M. de Groux qui pleure après les héros des tragiques légendes est comme un enfant inconsolable... , La France est-elle en décadence ? se demande M. Hanotaux... ; Murailles. - Elles fleurissent... ; Sur l'initiative de M. le sénateur Delpech, une souscription, paraît-il, vient de s'ouvrir pour la reconstruction du Parthénon... ; Jouets non primés au concours... ; Le 18 novembre à l'Esthétique de Saint-Germain-en-Laye où sont exposés des œuvres de Chéret, Toulouse-Lautrec, Grasset, Mucha, Steinlen, Maurice Denis, Moreau-Nélaton, Ogé, etc..., M. André Mellerio, en une conférence d'ouverture, parla spirituelle sur "l'Art et le Commerce". ; Objets perdus : On demande à tous les Echos des nouvelles du Narcisse de Poussin qui était exposé au Salon Carré du Louvre. ; Ont paru...] (p. 44-48)
Document
"De l'Occident"
Pour s'orienter, la revue que voici se dénomme "l'Occident". Ce qu'il semble désirable d'entendre par là se définit mal, mais s'entend bien. Car définit-on la pente d'un pays, dont les fleuves pourtant s'écoulent ?

Depuis cent ans, en effet, et d'abord depuis Mme de Staël, les lettres et l'art jaillissent d'une infinité de sources, l'anglaise, l'allemande, l'orientale... Jamais encore nous n'avions consacré tant de persistance à nous enrichir. Les eaux de ces successives fontaines se sont donc tour à tour mélangées. Toutes les formes, à force qu'elles se variaient, finirent par se ressembler et l'individualisme où nous nous sommes accordé les dernières libertés nous confond désormais encore dans la monotonie d'un seul tour d'esprit. Une littérature à travers champs, bien que toute hardiesse y soit devenue inutile, semble ne s'occuper toujours que de s'affranchir. Pourtant M. Gustave Kahn ne se lasse pas de nous informer qu'il a affranchi le vers libre en 1879 ! Un art qui s'est un instant pu croire et dire nouveau, tandis qu'il accordait quatre ou cinq pays dans une formule, négatrice de toute forme, en était venu seulement à se déraciner de partout sans avoir la finesse de s'en excuser par de l'hellénisme...

On demande ici sur ces entrefaites la permission de croire et l'on s'y donnera à l'occasion la joie d'affirmer que cette mentalité riche et complexe ne peut pas rester éternellement stagnante, mais qu'elle suivra bientôt la pente d'un sol méconnu.

Il y va donc du sens de notre pensée.
*
Dès l'aube de notre monde, les peuples marchèrent vers l'Occident, et la pensée humaine s'éveillant et s'envolant à cent ans ou à mille ans derrière eux prenait à son tour le même chemin qu'ils avaient suivi. D'Orient en Grèce, d'Athènes à Rome, cela est venu chez nous. Puis quand elle eut atteint ici la fin de ce monde, la pensée universelle qui continuait de se lever et d'accourir s'accumula devant la barrière dressée. Ainsi veut la direction de l'intelligence générale, que toute richesse afflue ici pour s'y refondre, s'y transformer et s'y mouler à notre forme, et que nous tenions le lieu moderne où s'insurgent supérieurement la colère et la verve de l'esprit. Quel est l'autre pays, en effet, qui, ayant connu l'éblouissante gloire d'un XIIIe siècle, a trouvé en lui en outre l'étrange et contraire vertu d'un XVIIe ? Oui, il est caractéristique que deux traditions si fortes aient pu se succéder ici et le flot de pensée qui jaillit toujours de cette Europe dont tout l'esprit vient retentir et s'accuser chez nous présage encore en ce lieu quelque nouvelle épopée de l'intelligence. De la même façon que tant de provinces se sont unifiées dans l'esprit français, tant de pays qui se tournent vers la pensée française circonscrivent une âme occidentale et l'Occident logique, rude et sensible, est la plus intellectuelle patrie.
L'Occident a inventé vraiment la plus haute façon de construire : cela s'entend aussi bien du tiers-point que du Discours de la Méthode. S'il est au fond si âprement naturaliste, c'est que cette logique édifiante, qui est sa plus sourde passion, réclame un point d'appui vénéré, tangible et sûr qui ne l'expose à rien perdre de son effort, auquel il attache un prix singulier, et c'est pourquoi la table rase et la plaine nationale sont à la base de son art et de ses littératures. L'économie de sa pensée est probe et jalouse au point qu'elle ne s'ajuste que dans une dernière douleur. L'aisance et le sourire grecs ne sont sous notre ciel qu'un savoureux contre-sens. Aussi quand la Renaissance fut insinuée à l'Occident, qu'ensorcelait alors la souplesse italienne, ne la connut-il que dans un grand trouble et ce fut avec fièvre qu'il reçut le bel antique. Mais pouvait-il élever sur son sol une maison étrangère ? Il se reprit donc et mortifia si bien ce qu'il s'était d'abord assimilé que nos temps classiques recommencèrent l'abstraite construction avec un inflexible et rationnel vouloir. C'est le besoin toujours ressenti par un peuple obstiné d'aller plus haut et de pousser plus loin qui conseille perpétuellement de nouer des chaînes de travaux solidaires afin d'utiliser sa résistance et sa force collective et qui le pousse enfin vers les disciplines et les traditions.

L'Occident est ainsi un pays de continuité. C'est en quoi il ressemble formellement à une immense personne, si vraiment la personne consiste à se continuer. De là son goût et sa politesse, la probité de sa manière, l'honnêteté de ses élégances. C'est à ce don de suite qu'il doit une grâce spéciale, faite de tant d'expérience et de tant de conscience qu'il peut résumer dans un seul geste. La sûreté avec laquelle il délie l'écriture de ses délicatesses vient d'un esprit qui excelle à ne pas s'épuiser et d'une âme toujours prête à fournir. Ainsi existe l'Occident.

Et d'en être informé permet à ceux qui sont ici et à d'autres qui n'y sont pas encore de se donner du champ, de l'air et de l'espace, avec une atmosphère commune à respirer.
*
Il est bien des façons courantes de ne pas être occidental,

- par exemple pasticher directement les petits lyriques grecs, ce qui est inutile depuis que l'antiquité harmonieuse a trouvé sa formule française,

- ou bien déshonorer la littérature par les écarts d'une physiologie mal policée, composer des poèmes, des romans, des romances, des tableaux remplis d'une sentimentalité sans motifs et sans justesse, ce qui est faire des ouvrages non raisonnables, c'est-à-dire insuffisamment raisonnés, toute manière étant regrettable de mépriser son esprit,

- ou bien craindre à l'excès de localiser ses œuvres, dépenser jusqu'à du génie à recoudre des morceaux splendides, comme fit Gustave Moreau, car de la noblesse dans une œuvre d'art ne tient tout de même pas lieu d'homogénéité,

- ou bien construire des monuments dont tout le style soit emprunté au caprice des fumées, insuffisamment terrestres, et plus communément encore, labeur d'hérétique en ce pays celte, bâtir à la douzaine des maisons si terriblement barrées de lignes horizontales,

- ou bien aussi, à cause d'une hypertrophie de cette conscience qui est l'organe le plus délicat de notre personne intime, regimber sans mesure contre tout formalisme, comme s'il ne fallait pas que toute doctrine prît enfin quelque forme humaine, et qu'il s'agisse de la beauté ou qu'il s'agisse de la justice, avoir si mauvais caractère qu'il ne reste de possible que le nihilisme slave.

Mais qu'on soit occidental avec ardeur ou en finesse, il ne s'avère toujours qu'une façon de l'être, qui est avant tout de faire chacun son œuvre en toute logique, d'en préciser le plus le dessin général et de se diriger avec tout son talent et toute son âme vers les plus hautes et vers les plus subtiles simplifications, étant entendu que la simplicité ne consiste pas seulement à écrire des pages naïves, mais suprêmement à composer des œuvres d'une raison de plus en plus serrée, - et bâtissant des poèmes de vent, de pierre ou de lumière qui sans défaillance soient purs d'une ligne intérieure, pratiquer dans la plus haute tension de son esprit cette juste et radicale parole d'André Gide : "soumettre le plus possible à soi le plus possible de la nature."
Adrien MITHOUARD.

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