samedi 3 novembre 2012

DOCUMENT : LETTRE DE CHARLES CALLET A FRANCIS EON (16 JUIN 1906)

J'interromps aujourd'hui un assez long silence pour inaugurer une nouvelle rubrique qui, je l'espère, fera pardonner mon absence auprès des fidèles de ce blog, visiteurs assidus auxquels va ma gratitude, et qu'on trouvera, je l'espère aussi, digne d'intérêt. L'existence des petites revues est faite, bien sûr, des publications régulières ou irrégulières des livraisons qui finissent par constituer des collections où palpite un peu de la vie littéraire d'une époque ; mais elle est faite également d'hommes soucieux de défendre leur idée de la poésie et de la littérature, soucieux, peut-être aussi, de se faire un nom et une place. Sous le sobre libellé de "Documents", je publierai des textes inédits, des lettres, des photographies, etc., documents de première main où se liront les naissances, évolutions, difficultés, et autres agonies de petites revues ; où apparaîtra, en quelque sorte, le rideau s'ouvrant sur les coulisses, la vie cachée des petites revues.
J'inaugure cet ensemble de "Documents" avec une lettre de Charles Callet à Francis Eon, deux de ces hommes que l'histoire littéraire a quelque peu oubliés mais qui furent des animateurs de la petite République des Lettres et qui, hommes de revues, furent, pour le sujet qui nous réunit ici, rien moins que des protagonistes. Charles Callet, fils de l'écrivain, Auguste Callet, que la renaissance de l'Empire obligea à l'exil, n'est pas tout à fait un inconnu puisqu'il dirigea, avec quelques amis (Francis Carco, Léon Deubel, Roger Frêne, Louis Mandin, Louis Pergaud, Michel Puy, etc.), L'Île Sonnante dont nous avons déjà décrit plusieurs numéros. Il avait auparavant créé et dirigé La Nouvelle Athènes qui vécut le temps de quatre livraisons de novembre 1906 à mars-avril 1907, au sommaire desquels on retrouve la plupart de ceux qui participèrent au comité de rédaction de L'Île Sonnante. Il collabora aussi à l'Isis (mars 1908-juillet 1910) d'Ary René D'Yvermont, aux Rubriques Nouvelles de Nicolas Beauduin, aux Guêpes de Jean-Marc Bernard, et à d'autres périodiques, comme cette Revue Franco-Italienne dont il est question dans la lettre et sur laquelle je n'ai recueilli à ce jour que peu d'informations. Poète, conteur et critique, son art s'imprègne de classicisme et de références à l'Antiquité, mais conserve de la génération précédente le goût du symbole. Francis Eon (1879-1949) appartient à la même génération qui succéda au Symbolisme et se nourrit des rebellions naturistes et romanes. S'il est une des figures du Divan d'Henri Martineau, il publia des poèmes et des critiques dans de nombreuses autres revues. Citons, en vrac : Les Guêpes, l'Île Sonnante, le Beffroi, Poésie, la Phalange, la NRF, Les Lettres, la Revue du Bas-Poitou, le Mercure de France, Normandy-Revue, etc. Sa poésie est traditionaliste et doucement sentimentale. La lettre reproduite ci-dessous a été jointe par son destinataire à un exemplaire des Contes Anciens (Paris, Alphonse Lemerre éditeur, 1904) de Callet.
Paris, 16 juin 1906.
49 rue Madame.
Monsieur,
Je vous adresse un numéro de la revue Franco-Italienne, voici dans quel but : Un comité d'écrivains - Ary René d'Yvermont, le poète Deubel, le poète Mandin, Libert, quelques autres personnalités - a demandé au directeur de cette revue et obtenu le droit de rédiger complètement la partie française à laquelle une grande place sera réservée. Nous désirions fonder une nouvelle revue littéraire, nous avons jugé plus sage de rénover un périodique déjà existant et de gros tirage (5000). Le Comité devra, pendant un an, verser au directeur une mensualité pour le dédommager de frais supplémentaires, (la revue plus compacte, douze numéros au lieu de dix), la quotité de chaque membre est fixée à 10 fr. par mois. Voulez-vous, Monsieur, faire partie de notre groupe ? Le signataire de cette lettre sait, - peut-être le savez-vous aussi - quelles difficultés on rencontre pour appeler l'attention sur ses œuvres quelques estimables qu'elles soient. Nous apprécions votre talent, nous vous offrons une facilité pour le mettre en lumière. La revue transformée paraîtra en Sept., et elle ne tardera pas, c'est notre conviction à conquérir un rang enviable. La mensualité de dix fr. n'est pas un tarif absolu. Certains membres du Comité, riches surtout de talent, se sont engagés pour une somme moindre. Ils fixent eux-mêmes l'importance du sacrifice qu'ils peuvent faire à leurs rêves, à leur avenir littéraire. Je vous dis ceci, Monsieur, pour vous montrer en quelle estime nous vous tenons.

En attendant une réponse, Monsieur, je vous prie d'agréer l'expression de mes meilleurs sentiments.
Ch. Callet
Deubel m'a formellement autorisé à me recommander de lui auprès de vous.

4 commentaires:

  1. Merci Bertrand. Il y aura, bien évidemment, une suite...

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  2. Il est toujours excitant de voir les tractations qui sous-tendent l'apparition d'une petite revue bien propre et unanime dans sa présentation!
    Je suis par ailleur fort intéressé par cette Revue Franco-Italiennes, dont Decaudin ne semble pas faire mention, mais qui chronologiquement tout comme "géographiquement" tombe précisément dans ma zone d'intérêt! Merci!

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