Dans un temps où l'anarchie apparaît partout, dans les esprits, dans les institutions, dans les mœurs, il convient de signaler quelques revues dont l'existence témoigne d'un essai d'organisation.
La publication de M. Georges Deherme, La Coopération des idées, s'adresse à tous les esprits qui s'efforcent de tirer du chaos présent les pierres d'un édifice d'ordre et de civilisation. Le nom du directeur dit assez que l'on n'y admet d'autre méthode que le (sic) discussion loyale, d'autre principe que la sincérité. M. Deherme a publié un livre sur la Démocratie vivante. Ai-je besoin d'ajouter que par démocratie il n'entend point le règne des sots et des canailles ? Ce n'est pas davantage ce régime de liberté dans lequel tous les appétits librement déchaînés, et que nul frein - tradition, famille, corporation - n'enraye plus, se heurtent dans une mêlée où le plus faible est étouffé. Cette démocratie, vivante, parce qu'organisée, ressemble plutôt à la société d'ancien régime. M. Deherme sera sans doute qualifié de réactionnaire, épithète que méritent et Renan, et Comte, et tant d'autres auxquels la démocratie, dans son ignorance, a élevé des statues. Elle les renverserait demain, si elle pouvait être sensible à l'ironie de leurs bouches muetttes.
La pensée de M. Deherme procède surtout d'Auguste Comte. Dans un petit livret récent, consacré au sociologue et à son œuvre, M. Deherme reconnaît sa dette et publie sa reconnaissance. Je le recommande aux personnes qui veulent prendre une vue exacte des doctrines positivistes, si généralement méconnues. D'Auguste Comte encore se réclament les écrivains de la Revue critique des idées et des livres, qui se rapprochent par plus d'un point des opinions de M. Georges Deherme. Ils en sont séparés par leur conception du pouvoir politique. A la suite de M. Charles Maurras, cet admirable poète de la dialectique, ils posent le principe monarchique comme base nécessaire de toute œuvre française. M. Deherme, après Comte, s'occupe moins de la nature du pouvoir que de son application. Mais comme les uns et les autres tombent d'accord sur certaines nécessités présentes ! C'est que chez des esprits de cette valeur, la discussion, qui divise les médiocres, aboutit presque toujours à une entente. Leurs adversaires, qui évitent de les attaquer de front, ne confessent-ils pas leur faiblesse ?
Les Marches de l'Est, luxueux recueil trimestriel, se proposent de montrer que "Alsace, Lorraine, Luxembourg, Ardennes, pays wallons, désunis par les hasards des guerres et des traités, ont connu des gloires communes et ont toujours participé à la même civilisation".
Tout ce qui touche l'histoire politique, militaire ou artistique des provinces comprises entre le Rhin et l'Escaut, formera donc le champ d'action ouvert aux collaborateurs.
Le premier numéro comprend des articles ou des chroniques de Mme la comtesse de Noailles ; MM. Dumont-Wilden ; Charles Demange, dont le premier ouvrage, Le livre de Désir, un peu trop mièvre, un peu trop obscur, prouve une sensibilité bien délicate et des qualités de style qui s'affermiront à mesure que la pensée deviendra plus riche ; Georges Ducrocq, Maurice des Ombiaux, notre collaborateur Désiré Ferry, etc.
M. Maurice Barrès y a écrit une préface, assez écourtée, car il s'occupait dans le même temps à diriger les premiers pas de sa Colette. Il nous parle d'elle : "J'aurais plus de succès à la foire, si j'y portais une perruche. Mais j'ai cherché à faire aimer une fauvette de nos climats." Voilà de quoi réjouir tous ceux, et j'en suis, qui dans le doctrinaire des Bastions de l'Est, se plaisent à retrouver parfois le jeune ironiste qui aima Bérénice, notre sœur tendre et ployée. Jeune : c'est la jeunesse qui nous séduit en Barrès. Mon ami Maxime Detresle me parlait naguère, en souriant un peu, ainsi qu'il sied, de l'émotion dont il fut saisi le jour qu'il vit pour la première fois Maurice Barrès à la Chambre :
"Grand et mince, en veston, les traits accentués de la face adoucis par la distance, Barrès, me dit-il, regardé du haut des tribunes, a toujours vingt-cinq ans. Les travaux de la pensée ne dégradent pas une figure d'homme, pas plus qu'un corps de femme les travaux de l'amour. Les belles têtes d'homme, qui sont les têtes d'artistes, restent belles jusqu'à la fin. Les beaux visages de femme, qui sont les visages d'amoureuses, gardent longtemps leur grâce et leur rayonnement. Il est certain que les angoisses intellectuelles ont rarement contribué à déterminer l'alopécie de nos parlementaires. L'exemple de Barrès m'incline à penser que les idées sont la graine dont naît une chevelure vivace.
"Ce jour-là un député socialiste, ayant besoin de son témoignage et par manière d'artifice oratoire, parla "du beau fleuron que Maurice Barrès ajoute à la couronne littéraire de la France". Là-dessus, murmures à l'extrême-gauche. On n'y goûte pas Barrès. Comment avoir du talent sans être au moins radical ? Ce ne fut pas le chahut que déchaîne la colère, mais le petit glapissement indécent de l'envie. Je prends toujours un plaisir aigu à découvrir dans sa naïveté la haine que suscite toute supériorité de l'intelligence. La sympathie, dit Auguste Comte, est le grand mobile de l'action. Sans doute, mais pour certains esprits, le mépris en est un autre. Barrès, tu le penses bien, ne broncha pas. Mais son regard ! Son regard - je l'imaginai peut-être - qui domina sur l'obscur grouillement de ces larves..."
Et côte à côte, Maxime et moi, nous relûmes dans un ancien fascicule d'une petite revue, le Commentaire d'un regard, par Eugène Marsan.
moustache de mousquetaire et regard de demi-dieu.
Telle est la maquette du monument que le sculpteur Frédéric Brou a conçu pour honorer la mémoire de Villiers. Un comité, présidé par M. Jean Richepin, et dont font partie Mmes Judith Gautier, de Noailles, de Polignac, de Rohan, de Chabannes-la-Palice, MM. René Boylesve, Léon Dierx, Anatole France, Pierre Louys, Maurice Maeterlinck, Paul Margueritte, Frédéric Mistral, Henri de Régnier, Édouard de Rougemont, Saint-Saëns, etc., a entrepris de le faire ériger à Paris.
A l'époque où certains sollicitaient de quelques milliers d'imbéciles un siège électoral, Villiers, un trône devenu vacant en Europe, y fit valoir ses droits. Cela définit un homme. Héritier d'une race plus ancienne que la plupart des familles régnantes du monde, il avait quelque qualité pour faire retentir parmi nous la protestation d'une beauté que l'on dédaigne, et la revendication du rêve.
Notre génération s'est dégagée ou se dégage du romantisme ; c'est son originalité et sa vertu. Villiers en était tout pénétré. A cause de cela, certaines parties de son œuvre ont beaucoup vieilli, mais d'autres sont éternelles, comme l'âme qu'elles traduisent, et je ne pense pas qu'aucun de nous se refuse à ranger Villiers de l'Isle-Adam au nombre de ces rares esprits qui demeurent, selon l'heureuse formule de M. Eugène Montfort, des "romantiques que nous pouvons aimer".
Le Nain Rouge publiera la liste de toutes les souscriptions au monument Villiers de l'Isle-Adam qui seront adressées à l'administrateur, 145, boulevard Malesherbes.
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