POÈMES DE FRANCE
N°2 (15 Décembre 1914)
[Date de publication : 15 décembre 1914 - Couverture : Sans (en-tête sur la première page) - Page [1] : En-Tête
(Périodicité, Numéro, Prix, Titre, Année, Rédacteur, Dépôt, Abonnement, Date, Adresse) - Bas de Page 16 : Imprimeur, Gérant - Pagination : 8 pages]
Paul Fort : La Clarté de France [A Victor Margueritte - daté "15-16 Novembre 1914"] (p. [9]-11)
Paul Fort : Sur la mort d'Olivier Hourcade (tué à l'ennemi devant Soissons) [A FRANCIS JAMMES - en épigraphe, citation des Journaux de septembre 1914 : "Ce jeune poète, ce prêtre futur, était parti avec joie et même avec enthousiasme... Il vient de mourir, frappé d'un éclat d'obus, au cours d'une mission de confiance dont, sur sa prière, son général l'avait chargé." - daté "Le 29 Septembre 1914"] (p. [12]-13)
Paul Fort : Senlis vengée
[A Georges Lecomte - en épigraphe, citation de Senlis matinale de Paul Fort : "Je sors. La ville a-t-elle disparu ce matin ? Où s'est-elle envolée ? (...) où Dieu repose un front qui vers Senlis se penche." - daté "Le 12 Septembre 1914"] (p. [14]-16)
Paul Fort : Le Soldat de grand'garde [A Alphonse Lenoir] (p. 16)
Document
A FRANCIS JAMMES
SUR LA MORT D'OLIVIER HOURCADE
(tué à l'ennemi devant Soissons)
Dieu nous l'a pris qui l'aimait tant. Plus que nous qui l'aimions pourtant, et non par feinte ou fantaisie, hélas ! avec tout notre cœur - de nous n'a-t-il pas dit aussi : Seigneur, aimez qu'en poésie tous deux ils soient mes doux seigneurs ? - bien qu'il ait dit cela, hélas ! prouvé toujours, chanté cela, plus que nous Dieu l'aimait déjà : trop ? non ! c'était son enfant. Dieu nous l'a pris qui l'aimait tant.
Jésus et l'Art, ô viatiques de cette jeune âme en voyage, toute ferveur, tout héroïque, née pour de surhumains courages, pensive gaîment, sans critiques, et se donnant en vous donnant, libres vertus en république, apaisées de rêve tremblant : spontanéité, charme, élan ! et l'Art et Dieu pour viatiques ! Dieu l'a "saisi" qui l'aimait tant...
Combien, tresseur de ses lauriers, je tresse haut pour Olivier ! Un éclat d'obus a frappé le plus noble cœur de poète, à travers l'Art même occupé des plus hautes pensées secrètes. Je vois si haut mon Olivier, d'un berceau d'anges abrité, montant, montant à la conquête de la seule immortalité. Je tresserais haut ses lauriers, mais au bord du ciel arrêtés, mes doigts ne suivent plus sa tête... Dieu m'a repris tout mon poète.
Il a bien fait. C'était "le sien". Dieu terrible a repris son bien, aux signes d'un ange gardien ouvrant deux ailes tout heureuses et divinement lumineuses sur l'enfant mort de son haut fait. Il a repris le bel enfant à son moment le plus parfait, devant son ange triomphant, lorsque deux fois héros, Hourcade, par double amour et non bravade - ayant conquis la mission digne de son Ambition - aux appels de l'Agnus Dei voulut mourir pour son pays !
Toi, mon Jammes du Paradis, continue de tresser pour lui : c'est à moi seul que Dieu l'a pris. Las ! éternellement perdu, je ne verrai plus mon ami ! Tu sais, Jammes, où il ira. Et c'est, plus tard, où tu seras. Tu sais, Jammes, où il s'en va dans ces vols d'anges éperdus. A toi de tresser sa couronne... Mais tu souris, Dieu me pardonne, toi qui déjà peux dire aux hommes, de cet Olivier que tu vois avec ton âme, avec ta foi : "Non perdu. Se retrouvera."
Hélas ! puisqu'il en est ainsi, que je dois seul être puni - car ses père et mère seront, menant le chœur de ses amis, de ceux-là qui le reverront - lorsqu'au ciel tu le reverras, cet Olivier de notre cœur, sais-tu qu'il me demandera, disant : "Je l'aimais bien aussi ! Cherche-t-il nos félicités ?" Je t'en prie, ne lui fais de peur. A mon ami ne fais de peine. Et lorsque tu lui répondras, ne lui dis pas que mes blasphèmes des paradis m'ont écarté. N'affirme rien, hors que je l'aime. Trouve-lui les mots fraternels ne chargeant point trop son aîné. Ne charge point le condamné. Dis-lui que loin de l’Éternel, en mission vers les Damnés, pour toujours loin de son doux ciel, absent je l'aime bien quand même... et pleurez l'ami regretté.
Dieu me l'a pris, l'Ami que j'aime, - me l'a pris pour l'éternité !
Le 29 Septembre 1914.
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