jeudi 24 juillet 2014

CHARLES CALLET SE SOUVIENT DE L’ÎLE SONNANTE

Charles Callet, né en 1856, était probablement le plus expérimenté des rédacteurs attitrés de L'Ile Sonnante (1909-1913). Ce n'est pourtant que dans les premières années du siècle qu'il semble entrer en littérature, devenant un collaborateur de revues assez assidu ; on relève notamment son nom aux sommaires d'Akademos, de La Nouvelle Athènes, de Pan, d'Isis, des Guêpes, des Rubriques Nouvelles, etc. J'ai déjà eu l'occasion de parler un peu du personnage ici et d'exhiber deux de ses ouvrages et . C'est sans doute rendre un peu à la lumière un homme qui fut si discret que lorsqu'il fallut répondre à l'enquête de Belles-Lettres sur les revues d'avant-garde, il donna - comme on va le découvrir - la parole à son ami Louis Mandin :
CHARLES CALLET
Han Ryner a eu la complaisance de me faire parvenir votre lettre. Vous voulez bien me demander mon sentiment sur l'Ile Sonnante. Eh quoi ! elle n'est pas encore oubliée ! Le beau poète Louis Mandin lui a consacré un article dans Paris-Journal (19 mars 1914). Voici un passage de cet article pénétrant, mesuré, en pleine harmonie avec ma pensée (je m'excuse de le reproduire sans coupure) :
"L'Ile Sonnante était bien étrange. Les écrivains n'y lançaient pas de religion nouvelle, ils n'y proclamaient pas qu'ils venaient de refaire le soleil, la terre et la lune, ils n'y creusaient pas le plus petit "isme", et jamais aucun d'eux n'a mérité que M.*** lui décernât du génie. Pour tout dire, c'étaient des écrivains dignes d'estime.
"Il y avait Michel Puy, qui était directeur, pas de nom, mais de fait, et dont le solide et judicieux esprit critique est apprécié par tous ceux qui l'ont lu ; Charles Callet, un sage, qui est en même temps un enthousiaste, c'est-à-dire un très pur artiste, auquel on ne rend pas assez justice, parce qu'il ne fait pas ni réclame ni lâchetés pour se la faire rendre ; Roger Frène, un poète qui a deux torts graves : celui d'être retenu par des fonctions dans une province éloignée, loin des chapelles parisiennes, et celui d'être, comme ses camarades de l'Ile Sonnante, tout à fait étranger aux procédés de coterie, d'intrigue et de battage. Cela n'empêche pas - au contraire - qu'il a su mettre dans son recueil, les Sèves Originaires, plus de vraie, sincère et ferme poésie, que n'en contiendront jamais la plupart des petits manifestants, plus grands qu'Hugo et Shakespeare.
"Il y avait aussi Louis Pergaud, dont le prix Goncourt n'a pu gâter l'esprit droit, probe et indépendant ; et puis des poètes encore ; mais puis-je les nommer quand ce seul mot évoque la figure de Léon Deubel ? Car Deubel était de l'Ile Sonnante. Nous l'y avons vu avec son grand orgueil d'artiste, un orgueil susceptible, à la fin aigri et douloureux, qu'un rien blessait. Les jeunes revues ne parlaient guère de lui. On savait qu'on n'avait pas à attendre de sa part des complaisances intéressées(I)..."
Une publication que distingua un tel esprit peut-elle, en nos temps d'arrivisme et d'amoralité, exercer de l'influence ? Non ! oh ! je n'affirmerait point que ses fascicules ne seront jamais feuilletés, et attentivement... plus tard. Des confrères éminents, des lettrés, critiques très durs, ont envoyé à certains collaborateurs de l'Ile Sonnante des témoignages de considération si spontanés, si extraordinaires, que les inconnus auxquels ils s'adressaient peuvent croire, sans trop de folie, à des revanches futures.
(I) Autres collaborateurs : l'âpre et fougueux Marc-Stéphane ; les poètes Tristan Derème et Gazanion ; Marcel Martinet ; Carco ; Vimereu ; et quelquefois, un oublié du siècle dernier, mort en 1883, Auguste Callet, homme d'un talent supérieur et d'une conscience s'élevant jusqu'au symbole. (C. C.)
(p. 128-129)

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