dimanche 6 octobre 2013

LES HEURES [N° 7-8] - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1897

LES HEURES
N° [7-8] (Novembre-Décembre 1897)
[Date de publication : Novembre-Décembre 1897 - Couverture : Titre, Ancien Titre (L'Art Wallon), Sommaire, Illustration, Prix, Date, Éditeur - 2e de couverture : Titre, Sous-Titre, Collaborateurs, Abonnement, Mention ("Adresser toutes communications à Mr Guillaume HENNEN, rue St-Remacle, Verviers") - 3e de couverture : Encart publicitaire ("Vous tous qui aimez le beau / le beau dans la nature / le beau dans l'art - le beau dans l'utile / chaussez-vous / chez / Crutzen Frères / Rue du Brou, N° 38 / Verviers / Rue Pisseroule, N° 47 / Dison") - 4e de couverture : Encarts publicitaires (Librairie ancienne & moderne / Guillaume Davister / Verviers ; Librairie belge & étrangère / Édouard Gnusé / Liège ; Typographie-Lithographie Maurice Xhoffer / éditeur de "Les Heures" / Verviers) - Bas de Page 152 : "Nous prions nos lecteurs de bien vouloir excuser le retard fort involontaire de ce numéro. / Au prochain : Christian Beck, Paul Fort, A.-F. Hérold, M. Marchin, Gabriel Montjoie, Edmond Pilon" - Pagination : 40 pages]
Sommaire
Paul André : Les Heures / Haine d'Aimer, conte dramatique mis à la scène (p. [113]-139)
Adelin Bertrand : Brumes, poème (p. [140])
Rodrigue Sérasquier : Prélude, poème [en note : "des 'Soirs Antiques'."] (p. [141]-142)
Adelin Bertrand : De Nuit, poème (p. [143])
Guillaume Hennen : La "Jeune Belgique", essai [sur l'arrêt de La Jeune Belgique] (p. [144]-147)
Guillaume Hennen : Les Livres [L'Hymnaire du Printemps. Georges Ramackers (Collection de La Lutte). - p. [148] ; Le Petit Paroissien. Richard Ledent (Paul Lacomblez, Bruxelles). - p. [148]-149 ; Cœur en détresse. Arthur Daxhelet (Victor Havard, Paris). - p. 149-152]  (p. [148]-152)
Document
La "Jeune Belgique"
J'ai toujours éprouvé une joie gamine à me figurer l'effarement mêlé d'indignation qui, lors des premiers manifestes de la "Jeune Belgique", dut saisir nos véritables gens de lettres. L'audace des nouveaux venus avait de quoi stupéfier. Oser dénier le moindre savoir-faire aux bonzes respectables reconnus les seuls favorisés des Muses, ayant d'ailleurs accouché, au cours de nombreuses années, de poèmes à idées vaguement quelconques et d'une forme adéquate aux idées, en vérité, n'y avait-il pas péril à ne pas protester contre un pareil esprit ? Aussi l'unanimité de la réprobation fut-elle égale à sa violence. L'anathème s'abattit des cranes pointus et des ventres bedonnants sur cette jeunesse belliqueuse et enthousiaste. S'il n'avait suffi que de mépris pour l'écraser ! Par malheur, le mépris ou l'injure ne l'atteignit pas. Elle fit la nique aux augures consternés ; puis, (cet âge est sans pitié) lança de nouvelles pierres dans leur jardin. Elle protesta contre l'injuste oubli dans lequel étaient laissés Pirmez et de Coster, et comme on ne décolérait pas, elle eut l'outrecuidance d'avoir du talent, ce qui me le comble à la rage de ses détracteurs. Les vaines formules, la rhétorique creuse et paralysante, le guindé des conventions flambèrent en un clair feu purificateur ; et débarrassée d'entraves, elle s'avança vers le temple de l'Art et planta dans la blancheur du marbre la hampe du drapeau aux plis duquel resplendissait l'orgueilleuse devise "Ne crains". La vieille terre belgique fut comme cinglée d'un coup de fouet. Elle s'éveilla de sa longue torpeur. Des larges contrées de Flandre et des collines parfumées de Wallonie s'éleva l'encens d'un hymne grandiose à la Beauté et à l'Harmonie. Une étroite solidarité unit tous les écrivains dans la lutte pour l'idée. Car autant leur foi était vive, autant ils avaient rencontré au début d'indifférence dédaigneuse ou d'attention hostile. Ils vainquirent cependant par leur énergique persistance à s'imposer à leur pays réfractaire, semblait-il, à tout empiètement dans le domaine des lettres. Ce fut l'époque des fougueuses diatribes contre les fidèles de la routine, celle aussi des spirituelles satires couvrant pour toujours de ridicule les enlizés dans le gagaïsme et le mauvais goût.
La jeunesse intellectuelle apprit à connaître et à comprendre cette pléiade de jeunes écrivains qui, dans un pays sans traditions littéraires venaient de créer un mouvement tel qu'il ne s'en était produit nulle part jusque là. L'impulsion était donnée qui ne devait plus s'arrêter. Tous avaient orienté leurs efforts dans un même sens : triompher de l'apathie générale et donner droit de cité à cette partie de l'Art où l'on s'était cru pour jamais tributaire de nos voisins du sud. Ce but atteint, il était à craindre que des divergences ne se manifestassent entre des écrivains d'aspirations et de talents si différents. C'est ce qui se produisit. Deux partis se formèrent : l'un, hardiment novateur, qui se sépara de la Jeune Belgique, admettait la plus grande liberté de forme dans l'expression de la pensée ; l'autre, dans lequel Albert Giraud et Iwan Gilkin, plus fidèle à la tradition française et soucieux de maintenir la pureté et l'intégrité de la langue. Ce n'est pas celui-ci que j'aime le moins. Ce dernier pouvait pourtant considérer terminée la tâche que les fondateurs de la Revue s'étaient imposée. La "Jeune Belgique" avait en effet frayé à l'Art un large et glorieux chemin. Le rêve de jadis était devenu une réalité. Albert Giraud, Iwan Gilkin, quelques autres écrivains encore préférèrent cependant rester sur la brèche pour combattre certaines influences qu'ils croyaient néfastes. Ils partirent en guerre contre toutes les extravagances, n'épargnèrent personne. On tenta d'étouffer cette voix qui censurait si à propos. On fit le silence autour d'elle. Seule contre tous, elle s'évertua à morigéner vertement quoique avec impartialité.
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Aujourd'hui, après bientôt quelque vingt ans, la Jeune Belgique cesse de paraître. Je souhaite pour l'honneur de nos écrivains, que tous, oubliant les anciennes dissensions, aient été réellement émus et pénétrés d'un saint respect à la disparition de la plus ancienne et de la plus belle de nos revues littéraires ; que tous, un instant, se soient senti la même âme fraternelle que dans ce passé où ils communièrent des mêmes espoirs et où, nouveaux croisés, ils partirent, eux aussi, à la conquête d'une Terre Sainte. Quant à nous, je dirai que la mort de la "Jeune Belgique", notre grande aînée, nous a profondément attristés. Et j'en veux presque à ceux qui ont dirigé cette revue jusque maintenant de ne pas avoir fait peut-être tout ce qui était possible pour continuer à opposer leur autorité de juges sévères à ce flot montant de la sottise qui menace de nous submerger. Quelle voix s'élèvera désormais en faveur du bon sens et en l'honneur de notre sainte et belle langue française ? Allons, messieurs les barbares, dites-nous en macaque ou en hottentot vos conceptions brumeuses ; sautez à pieds joints par-dessus toutes les règles ; donnez-vous en à cœur joie ; soyez les éloquents porte-voix de la bêtise : vous ne trouverez plus sur votre chemin cette "Jeune Belgique" railleuse et impitoyable qui, si souvent, avec tant de verve sarcastique, mit à nu l'inconsistance ou le vide de vos convictions et de vos œuvres.
Guillaume Hennen.

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