N° 13 (Février-Mars 1936)
[Date de publication : Février-Mars 1936 - Couverture : Imprimée en noir et rouge sur papier gris (Numéro, Date, Titre [en rouge], Adresse) - 2e de couverture : muette - 3e de couverture : muette - 4e de couverture : Prix - Page [1] : Page de titre (Titre, Sous-Titre, Directeur, Comité de Rédaction, Secrétaire de Rédaction, Sommaire) - Page [2] : Abonnement, Prix du numéro, Dépôt - Page [3] : En-Tête (Date, Numéro) - Page [37] : Editions des Cahiers "Jeux" (parus : / L'ASILE DE NUIT par Henri Ducorbier / "RIENS" par J. Lamuz / SUR MON TERROIR par Raoul Dubois (épuisé) / chaque plaquette : cinq francs / à paraître prochainement en souscription / LES YEUX CLAIRS par Paul-Marie Fontaine) - Page [38] : Encart publicitaire pour "L'Argus de la Presse", Directeur-Gérant, Imprimeur - Pagination : 38 pages]
Sommaire
Georges Ardiot : Lettre, lettre [à B. et à d'autres aussi - en épigraphe, citation de Léon-Paul Fargue : "Une phrase parfaite est au point culminant de la plus grande expérience vitale." - datée "Roubaix, le 15 Janvier 1936."] (p. [3]-[9])
G. Paul-Henri : Chanson ...avec un peu d'accordéon, poème en vers libres [à celui qui mit, dans ma boîte aux lettres, un poème sans le signer."] (p. [10]-[11])
Pierre Burgal : Un chapitre contre la guerre, poème en prose [Extrait des Bêtes Brutes - en épigraphe : "Tu ne tueras point."] (p. [12]-[15])
Henri Ducorbier : Daffodil, poème en vers libres [en épigraphe, citation de Francis Jammes : "Je t'aurais aimée là, autrefois, près de la mousse / Parce que tu avais une figure douce." - poème en six parties - en note pour la sixième partie : "Cette dernière partie a paru dans l'Asile de Nuit, plaquette du même auteur publiée par les Editions des cahiers "JEUX"."] (p. [16]-[23])
Maurice Peyssou : Trésors de l'Ombre : I. Le droit au rêve, essai [daté "Janvier 1936, Bordeaux."] (p. [24]-[30])
P[ierre]. B[urgal]., G[eorges]. A[rdiot]. : Signaux [Porcelaine de Limoges, par Jacques Chardonne (Grasset) - (p. [31]-[32]) ; Mes apprentissages, par Colette (Ferenczi) - (p. [32]) ; Le Sang noir, par Louis Guilloux (Gallimard) - signé P. B. - (p. [32]-[33]) ; La Colline, par Y. Deletang-Tardif (Ed. René Debresse) - (p. [33]) ; Papillon que la nuit décore, par André Silvaire (Ed. de La Hune, Lille) - (p. [33]-[34]) ; Causerie littéraire du Lundi à Radio P.T.T. Nord, par M. Waringhien (3 Février). - On souhaiterait entendre M. Waringhien accuser avec plus de vigueur ses préférences et ses aversions dans ses causeries littéraires. Pourtant il faut le féliciter d'avoir osé expliquer ce qu'il pense d'une gloire officielle et notamment de Paul Bourget... - signé G. A. - (p. [34]-[35]) ; Nous avons reçu : ANTHOLOGIE, de Liège (Décembre-Janvier). - Jean Rousselot défend, en termes justes, la poésie, qui "n'a rien de commun avec les arts d'agrément" et le poète... ; LE BON PLAISIR, de Toulouse (Janvier). - Notre ami et collaborateur Maurice Peyssou y parle de "l'humaniste politique" qu'est Jean-Michel Renaitour. Esquisse de silhouette qui donne envie de mieux connaître celui dont parle notre ami... ; CUMUL, de Villejuif (Janvier) - Numéro dédié à Lucien Gachon. ; EURYDICE de Paris (Numéro de Noël). - Toujours de beaux poèmes. N'en citer que quelques-uns serait trahir les autres. Une étude sur Elémir Bourges qui est aussi un hommage pieux de Buzzini... ; LES HUMBLES, de Paris (Décembre). - Maurice Parijanine y rappelle la place, que, à son avis, Tolstoï tient dans la préparation de la révolution russe. ; LE JOURNAL DES POÈTES, de Berchem-Sainte-Agathe, près Bruxelles (25 Décembre 1935). - Une véritable émotion m'étreignit quand je lus sur la manchette : "Dernier numéro du Journal". Je n'eus pas été plus secoué d'apprendre la mort d'un ami. Heureusement, un article nous rassure : Le Journal des Poètes ne fait que se transformer... - signé G. A. - (p. [35]-[36])], comptes rendus (p. [31]-[36])
Document
"Lettre"
à B.
et à d'autres aussi.
"Une phrase parfaite est au point
culminant de la plus grande expérience vitale."
Léon-Paul FARGUE.
Tu es déçu, mon ami. La page que tu avais sortie toute chaude de ton cœur, tu ne la reconnais plus, étalée à travers nos cahiers.
- "Cire perdue !" dis-tu.
Et l'obscurité t'envahit à nouveau. Tu doutes de toi avec angoisse et tu penses que, derrière ce nuage d'insuccès, il n'y aura jamais plus de soleil.
Mais ce moment d'abattement, je t'en parle, parce que je sais qu'il durera peu et que ta jeunesse, à nouveau, va gonfler ton cœur de pensées généreuses et briller dans tes yeux en quête de vérités.
Je t'ai ouvert nos cahiers parce que j'ai senti que c'était pour toi une nécessité psychologique et vitale, aussi indispensable, pour toi, que peut l'être le besoin de manger ou de boire, une nécessité telle qu'elle ne pouvait être différée, ni déviée sans danger pour ton développement et ton équilibre.
Je me doutais bien, je savais bien que, du premier coup, tu ne jetterais pas sur nos pages un chef-d'oeuvre, un brillant morceau, une étude éclatante. Je savais seulement, mais avec certitude, que, d'y voir imprimées des lignes que tu croyais facilement pénétrables pour les autres, pour des inconnus, des lignes que tu croyais imprégnées pour les autres, autant qu'elles te le paraissaient à toi, d'une profonde émotion, je savais que cela te ferait du bien et que tu en aurais moins mal à vivre.
Tu sais, toi, maintenant, ce qu'est cet être mystérieux et bizarre, la page imprimée, sortie de ce mélange que forment le cœur, l'âme et l'esprit. Tu sais, maintenant, la distance de ton cœur à la feuille insensible, cette feuille qui ne te fait grâce de rien, laisse en évidence toutes les fautes dont tu rougis, toutes les lourdeurs dont la fixité ineffaçable te trouble jusqu'au désespoir.
Rassure-toi ! Ton trouble est le signe du salut et dévoile, en toi, la présence de ce désir du beau et de l'équilibre, de la clarté et du savoir, de la pénétration totale des choses, de ce désir qui ne peut jamais s'épuiser dès qu'il nous a une fois même seulement effleurés. Et ce désir, qui plonge ses racines obscures au sein même du monde, profond et durable comme lui, ce désir te sauvera de la médiocrité et des lamentables tristesses d'une vie falote et privée d'audacieuses tentatives.
Il en est à qui il a été donné du génie, du talent, de la facilité. Il en est qui savent plaire, flatter, charmer du premier coup, pour ainsi dire ; pour lesquels écrire, s'exprimer, en vers comme en prose, est aussi simple qu'il est simple de prouver le mouvement en marchant.
Nos têtes, à nous, sont plus dures, nos cœurs plus rétifs, nos âmes moins souples. Il nous faut chaque jour gagner sur nous-mêmes, avec peine, comme on gagne son pain quotidien.
Car, n'est-ce pas, toi aussi, tu veux parvenir à l'art véritable, un art qui puisse envelopper chaque existence et l'ensemble de toutes les existences, tous les hommes ensemble et chaque homme en particulier, toute la nature en chacune de ses sphères et toute la nature dans tous les êtres ; car toi aussi, n'est-ce pas, comme nous, jaloux des différences, heureux des ressemblances, tu veux vivre de tout ton cœur et dans tous les cœurs !
Ah ! je sais combien, en comparaison de notre désir, sont faibles nos forces. Je sais quelles dangereuses chutes nous menacent, mais :
"Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre !"
Heureux ceux qui auront été vaincus au moins une fois ! Ceux-là auront senti avec leur peau même la résistance offerte à leurs désirs par des forces encore obscures et ignorées ; ceux-là auront expérimenté le vrai sens de la vie, qui est drame, dans les vacillements et les réajustements d'une perpétuelle mue interne et douloureuse ; ceux-là connaîtront vraiment la vie, car ils seront engagés en corps à corps avec elle.
C'est précisément ce drame constant, dans ce qu'il a de particulier, ou de commun à plusieurs, à un groupe, que nous voulons transcrire, en nous affirmant fortement, avec tous les risques que cette attitude comporte.
Nos petits cahiers ne sont pas une galerie d'exposition. Ils sont là pour aider à vivre, y aider efficacement. Pense, si tu veux, qu'ils sont une thérapeutique, pour décompliquer, simplifier, clarifier ceux pour lesquels c'est une nécessité vitale. Pense, si tu veux, qu'ils sont un excitant pour te débarrasser de la mauvaise bile, libérer tes clameurs intimes, traduire tes murmures passionnés, esquisser les constructions de rêves, et peut-être aussi dégonfler tes yeux de leurs larmes cachées ; et que, sans leur secours, tout cela se pelotonnerait en toi inextricablement. Mais souviens-toi qu'en t'accueillant, nos cahiers ne t'offrent pas un chemin tout tracé, un ciel tout préparé. Non ! c'est à toi de tracer ce chemin ; c'est à toi de trouver ton ciel. Nos cahiers t'en offrent la possibilité. Par eux, tu pourras parvenir à te posséder toi-même, à choisir ton monde, à éprouver tes idées, ton cœur, avec ta pleine responsabilité ; par eux, tu pourras, toi aussi, comme tous devraient pouvoir le faire, vivre noblement, ne pas être un de ces "damnés de la terre" qui, hélas ! ignorent jusqu'à leur existence.
Ceux qui nous lisent reconnaîtront en nous leurs obscurités, que nous, nous osons avouer publiquement, pour que cet aveu soit salutaire au plus grand nombre ; ils reconnaîtront leurs désirs, comblés ou insatisfaits, griffant le mur de l'impossible pour chercher une fissure par où s'enfuir ; ils reconnaîtront leurs colères, leurs joies généreuses et fécondes, leurs allégresses, leurs actions de grâces.
Luttes suprêmes ! Découvertes ineffables ! avec le cœur, avec l'âme, avec l'esprit, où chacun peut profiter de l'effort des autres sans qu'aucun n'abuse d'un autre, sans que la brutalité, même codifiée ne vienne fausser les valeurs.
Peut-être, me diras-tu, est-ce là jeter son cœur sur la place publique où le premier chien venu pourra s'en repaître voracement !
Mais est-il possible, pour nous, de faire autrement : ne pas vivre que pour soi ?
Reprends ta plume, mon ami. Certains détournent d'écrire, moi j'y encourage.
A chaque jour suffira sa peine.
Livre-toi pour te délivrer !
Délivre-toi pour te donner !
Devant nous ondulent d'immenses foisonnements.
Nous ne nous arrêterons que dans la perfection, quand l'acte sera devenu amour pur et quand l'amour se confondra sans résidu avec l'acte.
Roubaix, le 15 Janvier 1936.
GEORGES ARDIOT.
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