J'éprouve une sympathie particulière pour Gaston Picard, le Prince des Enquêteurs. Certes, son œuvre, bien inégale, n'a pas survécu aux coupeurs de têtes de l'histoire ; mais l'animateur de la vie littéraire, le polygraphe, l'insatiable interrogateur des gendelettres, le meneur de revues, bref, toutes les facettes du bonhomme Picard me le rendent attachant. Aussi n'ai-je pas hésité à acheter récemment un petit lot de lettres qui lui furent adressées par divers correspondants, essentiellement des rédacteurs en chef et des directeurs de publications périodiques, à diverses époques de sa vie. Elles ne revêtent pas un intérêt capital ; elles nous permettront cependant d'apporter un peu de lumière dans les coulisses de nos chères petites revues. N'est-ce pas là le principal but de cette rubrique "Documents" ?
La lettre de Marcel Fromenteau que je reproduis aujourd'hui met en valeur un aspect important de la vie des revues : leur souci de se constituer une collection de livres qui portât leur marque, voire de développer leur propre société d'édition. Et elles furent assez nombreuses, les petites revues qui se firent éditrices. Sans doute, était-ce là pour les jeunes collaborateurs, soucieux de se faire un nom et une bibliographie, et auxquels les grandes maisons étaient interdites, un bon moyen de publier ; sans doute, la constitution d'un catalogue permettait-il aussi aux petites revues d'élargir leur rayon d'influence et d'asseoir leur réputation. Tout cela, généralement à moindre frais pour les administrateurs, la plupart des livres édités l'étant à compte d'auteur ou à demi-compte. Tous y gagnaient. Les auteurs en publicité gratuite, les revues en notoriété ; les deux, en finances, en cas de succès commercial. Ainsi en fut-il pour le Mercure de France, la Revue Blanche, la Plume, la Nouvelle Revue Française, l'Ermitage - plus confidentiellement -, le Beffroi, la Phalange, les Rubriques Nouvelles, et bien d'autres, avec une réussite inégale. D'autres petites revues choisirent de développer une collection chez un éditeur d'avant-garde ; ce fut le cas de Vers et Prose, par exemple, chez Eugène Figuière. D'autres encore, moins importantes, se contentaient d'imprimer sous leur marque, pour se constituer un catalogue, des tirés à part d'articles initialement parus dans leurs livraisons. Ce fut le cas du Jardin Fleuri (1912-1921), dont Marcel Fromenteau était le rédacteur en chef. J'aurai l'occasion de mettre prochainement en ligne quelques billets bibliographiques consacrés à cette publication. En attendant, on lira avec intérêt la lettre que Fromenteau adressa à Gaston Picard au sujet de l'édition d'une plaquette de ce dernier :
Paris, 22 avril 1913
Mon cher ami,
Je suis allé hier chez notre imprimeur au sujet de l'édition de votre plaquette. Comme je le pensais, il n'entre pas du tout dans la combinaison des 17,50 fr., ce prix ayant été fixé pour les éditions à part des articles du Jardin Fleuri ; c'est-à-dire des articles dont il a gardé les plombs, la composition n'entre donc plus en compte.Pour éditer votre plaquette, il demande 25 fr. ; seulement si vous trouvez cela trop cher (probablement moins cher qu'à Paris cependant) j'accepterais volontiers vos poèmes pour notre revue, vous n'auriez alors que 17,50 fr. à payer comme il est indiqué à nos pages d'annonces.De plus, si nous éditons votre plaquette, voudriez-vous que nous mettions sur la couverture, Édition du Jardin Fleuri, et notre adresse.Écrivez-moi sur ce que je dois faire.
Bien vôtreMarcelFromenteau
Caporal24e section de CommisVincennes
Dans ses pages d'annonces, en tête de numéro, Le Jardin Fleuri indiquait en effet aux auteurs se charger "de l'impression des brochures ou volumes, à des prix très réduits", au format "journal in-16 jésus, 19 x 12". L'imprimeur de la revue était alors F. Paturel, domicilié 48, avenue Aubert à Vincennes. "Une très grande publicité sera faite pour chacun des ouvrages que l'on voudra bien lui confier", lit-on un peu plus loin. Gaston Picard, qui dirigeait alors L'Heure qui Sonne, à laquelle Fromenteau devait faire le service de sa revue, fut probablement tenté par les conditions avantageuses d'édition proposées par Le Jardin Fleuri. L'auteur accepta-t-il de donner ses poèmes à la revue avant que de les faire éditer ? Son nom n'apparaît pas dans les numéros en ma possession, mais ils sont trop peu nombreux pour conclure dans un sens ou dans un autre. Toujours est-il que la plaquette, intitulée Quatre Figures de Cirque, parut et qu'elle porte sur le premier plat la mention : "Se trouve chez l'Auteur [...] Et aux Bureaux de la Revue : LE JARDIN FLEURI".
Les 17,50 fr. mentionnés par Fromenteau correspondent dans la grille des
Tarifs donnée par la revue à l'impression à 250 exemplaires d'un tiré à
part de 8 pages. La plaquette de Picard, hors la couverture, compte 12
pages, dont seules huit comportent du texte, les deux premières et les
deux dernières étant des pages de garde.
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