mercredi 16 janvier 2013

L'HEURE QUI SONNE N°5 - MARS 1911

[Titre : L'HEURE QUI SONNE - Sous-Titre : Revue des Lettres ; puis Revue Mensuelle des Lettres ; puis Revue d'avant-garde (à partir du n°1 de la Deuxième Année) - Dates de publication : Novembre 1910 (n°1) à Janvier 1913 (numéro exceptionnel) - Périodicité : mensuelle - Lieu de publication : Paris - Format : 250 x 325 mm pour les cinq premiers numéros (format journal davantage que revue, avec absence de couverture) ; 190 x 280 mm (à partir du n°6) ; puis 185 x 275 mm (à partir du n°1 de la deuxième année) ; et 145 x 230 mm (pour le n° exceptionnel de janvier 1913) - Couverture : Imprimée en noir sur papier beige (au moins à partir du n°6) ; puis imprimée en rouge sur papier crème (à partir du n°1 de la deuxième année) ; et imprimée en noir sur papier jaune (pour le n° exceptionnel) - Pagination : variable (8 pages pour les 5 premiers numéros ; puis généralement 16 pages pour les numéros ordinaires à partir du n°6 ; 48 pages  pour le numéro exceptionnel) ; les numéros ne sont pas paginés la première année (à partir du n°6) ; pagination suivie à partir de la 2e année - Prix et abonnements : Le numéro = 0,25 francs, Abonnement annuel = 5 francs ; le numéro exceptionnel = 0,60 francs - Directeur : Gaston Picard - Rédacteur en chef : Marcel Hervieu ; (à partir de la 2e année) : Directeur général : Robert Veyssié ; Directeur : Gaston Picard ; Rédacteur en chef : Marcel Hervieu ; Secrétaires de rédaction : Pierre Laflèche, Sylvain Royé, Hubert Arnaud - Collaborateurs (liste non exhaustive - nous comprenons dans la liste des collaborateurs les auteurs de seules réponses aux enquêtes, que nous signalons par une astérisque) : Roger Allard, Henri Allorge, Guillaume Apollinaire, Hubert Arnaud, Auguste Aumaître, Théodore de Banville, Henri-Martin Barzun, Henry Bataille*, Pierre de la Batut, Nicolas Beauduin, Paul Bernheim, Jules Bertaut*, J.-André Biguet, Jules Bois, Marc Brésil, Paul Brulat, Umberto Brunelleschi [ill.], Alexandre Chignac, Lucien Christophe, Jean Clary, Henri Clouard*, Bernard Combette, Léon Deubel, Manuel Devaldès, Fernand Divoire, Dorsennus, Albert Erlande, D'Estramiac, Charles-Théophile Féret, Fernand Fleuret, Charles Forot-Defrance, Paul Fort, J. Francis-Bœuf, Gabriel-Tristan Franconi, Ernest Gaubert, Louis de Gonzague Frick, Henri-E. Gounelle, Remy de Gourmont, Henri Guilbeaux, Camille Guerre, Jacques Hébertot, Jean Héritier, Marcel Hervieu, Charles-Henry Hirsch*, J.-C. Holl, Gustave Kahn, Pierre de La Batut, Pierre Laflèche, Carlos Larronde, Sébastien-Charles Leconte, Abel Léger, René Lehmann, Jules Lemaître*, Camille Lemonnier*, Charles Lichtenberger, Paul Lombard, Henry Maassen*, Roland Manuel, Henri Martineau, François Mauriac, Myriam Mester [pseud. de Gaston Picard], Victor-Émile Michelet, Pierre Mille*, Marcel Millet, Francis de Miomandre*, Charles Morice*, Jean Muller, Paul Myrriam, Jeanne Nérel, Olivier-Hourcade, Annie de Pène, Georges Périn, Gaston Picard, M. C. Poinsot*, Georges Polti, Paul Pourot, Marcel Prouille, Rachilde, Paul Reboux*, Henri de Régnier, Maxime Revon, Berthe Reynold, Émile Riadis, Jean Richepin, J.-H. Rosny aîné*, Sylvain Royé, Jean Royère, Han Ryner, Henriette Sauret, Gaston Sauvebois, Henri Strentz, Gustave-Louis Tautain, René TautinAlbert Terrien, Jean Thogorma, Émile Verhaeren, Robert Veyssié, Sébastien Voirol - Adresse : 77, Boulevard Saint-Michel, Paris (Ve) - Gérant : Albert Terrien - Imprimé sur les presses de de l'Imprimerie Lenormand, 35, rue Boisnet à Angers (jusqu'au n°5) puis sur les presses de l'Imprimerie de La Vie Moderne, 83, 83bis et 85, Boulevard Soult (Paris) à partir du n°6, puis sur les presses de l'Imprimerie Perrette à Limoges pour la deuxième année, et sur les presses de l'imprimerie Jouve et Cie, 15 rue Racine (Paris) pour le numéro exceptionnel]
L'HEURE QUI SONNE
N°5 (mars 1911)
[Date de publication : Mars 1911 - [Couverture : format journal sans couverture ; 1re page avec en-tête] : Prix, Titre, Sous-Titre, Adresse, Directeur, Date, Rédacteur en Chef, Sommaire - [4e de couverture : dernière page (p. 40)] : Titre, Sous-Titre, Directeur, Rédacteur en Chef, mention ("publie les meilleurs Auteurs de la Littérature présente, accueille tous les talents"), Abonnement, mentions ("Nous prions tous ceux qui s'intéressent à L'HEURE QUI SONNE de nous envoyer leur abonnement" / "Le Directeur et le Rédacteur en Chef reçoivent aux Bureaux de la Revue de 5 h. à 7 h. le premier Vendredi de chaque mois, et sur rendez-vous") ; Annonces (Vient de paraître : "VERS LE GRAND TOUT / Poèmes / par Albert TERRIEN (Jouve Editeur, 15, Rue Racine) / Prix : 2 fr." ; "LES POÈMES IDIOTS / œuvre posthume de / Myriam MESTER / Publiée avec une introduction et des Notes par Gaston PICARD / aux éditions de L'HEURE QUI SONNE / Prix : 0.50 (Envoi franco contre 0.60 en timbres postes)" ; Publicités : Argus de la Presse ; Au genre moderne / Chemiserie, chapellerie, bonneterie) ; "L'HEURE QUI SONNE / Revue des Lettres / publiera dans ses prochains numéros des œuvres inédites de : Henri de Régnier, de l'Académie française, Jules Bois, Jane Catulle-Mendès, Pierre Mille, Camille de Sainte-Croix, Ch.-F. Caillard, M.-C. Poinsot, Nicolas Beauduin, Gaston Sauvebois, Louis Nazzi, Henri Martineau, François Mauriac, Abel Léger, Charles Dornier, Noël Nouet, Bernard Combette, Dominique Combette, Octave Béliard, Marc Elder, F.-T. Marinetti, Ch. Forot-Defrance, Henriette Sauret, Germaine Batandier, Édouard Gazanion, Marie-Louise Vignon, Germaine P., Henri Chomet, Jean Héritier, Henri Soulat, Jean Cheyre, Pierre Aguétant, Paul Myrriam, Georges Martin, Frantz Simon, Paul d'Harcourt, Georges Lefèvre, Serge Bernstamm, Maxime Revon, Maurice Fertoret, Albert Terrien, Marcel Hervieu, Gaston Picard, etc., etc., etc." ; Imprimeur ; Gérant - Pagination : 8 pages]
Sommaire
Jules Bois : Dialogue Intérieur [poème inédit], poème (p. [33])
Henriette Sauret : L'esclave parle ; Le Pilote, poèmes (p. 34)
Gaston Picard : Quelques revues [daté "mars 1911"] (p. 34-36)
B[erthe]. Reynold : Badinage, poème en vers libre (p. 37])
Albert Terrien : Homo homini lupus..., poème en prose (p. 37)

Sylvain Royé : Crépuscule au Faouet (Finistère), poème (p. 38)
Pierre de La Batut : Les prometteurs, poème (p. 38)

Gaston Picard, Marcel Hervieu, Jean Héritier : Les Livres [Jules Lemaître. Discours royalistes. (Nouvelle Librairie Nationale) - signé Gaston Picard ; Émilie Arnal. La Maison de Granit. (Plon, Nourrit, éd.) - signé Marcel Hervieu ; Marc Saunier. La Légende des Symboles. (E. Sansot, éd.) - signé Jean Héritier ; Auguste Aumaître. Rustica. (E. Sansot, éd.) ; A. Bout. Notre ancienne Picardie (E. Figuière, éd.) ; J.-F. Louis Merlet. Nitokris. (Société de l’Édition Libre) ; Marcel Martinet. Le jeune homme et la vie. Poèmes. (L’Édition de Paris) ; Henry Dérieux. Le Sable d'Or. (Édition de "L'Art Libre") ; Oscar Thiry. La Belle au bois s'éveille. (Édition de "Wallonia") ; Jean Drault. Contes de l’Étape. (Jouve, éd.) - signés Gaston Picard] (p. 38-39)
Gaston Picard, Marcel Hervieu : Notes [Les personnes auxquelles "L'Heure qui sonne" a fait jusqu'au présent numéro le service entièrement gratuit de la Revue, sont très instamment priées de vouloir bien nous adresser, par mandat ou bon de poste, le montant d'un abonnement d'un an, cinq francs. Il n'est rien qui puisse nous obliger davantage. / A nos abonnés de demain nous adressons nos remerciements anticipés et reconnaissants. / LA RÉDACTION. // On nous annonce comme devant paraître prochainement, "Les Moutons Noirs" de notre collaboratrice, Mlle Berthe Reynold, "Les Tressaillements" de M. Robert Veyssié, "Jasmin" de M. Olivier Bag, et "L’Équivoque du Classicisme" de M. Gaston Sauvebois. / M. Serge Bernstamm a fait récemment une très intéressante conférence sur "George Sand, sa vie et ses œuvres". M. Serge Bernstamm est certainement le plus jeune des conférenciers : il a seulement dix-sept ans. / M. Jules Bois a été élu président du Félibrige Parisien. A cette occasion, disons que "L'Heure qui Sonne" publiera, dans un prochain numéro, une étude critique sur "Frédéric Mistral, poète français". / Nous avons lu avec plaisir, à "La Revue critique des idées et des livres" un délicat article de M. Henri Lagrange sur Gérard de Nerval - à "La Revue catholique et royaliste" de beaux Sonnets de M. Abel Léger - à "La Veillée d'Auvergne" une dramatique nouvelle de M. Marcel Hervieu "Le Train Fou" - aux "Rubriques Nouvelles" des poèmes de Mlle Berthe Reynold, de M. Nicolas Beauduin et de M. Marcel Prouille. / Le premier numéro des "Marches du Sud-Ouest" vient de paraître, sous la direction de M. Olivier Bag, 86, rue Bonaparte, Paris. / "Ombres et Formes" s'occupe de former un comité, en vue d'un médaillon qui rappellerait le souvenir de Renée Vivien. Écrire, à ce sujet, à M. Charles de Richter, 16, rue des Jardies, à Bellevue (Seine-et-Oise). - signées Gaston Picard ; Parmi les récents articles de Gaston Picard, citons : à "L'Intransigeant" Enquête sur l’œuvre de Maurice Maeterlinck devant l'opinion - à "La Renaissance Contemporaine" Petit monde des Lettres : Impressions d'un "bourgeois" unanimiste - à "Paris-Journal" Une Réponse à M. Jules Romains - à "La Revue critique des Idées et des Livres" A propos d'une pièce "unanimiste" - à "La Critique Indépendante" Lettre à M. Gaston Sauvebois sur "Le Cas J. Ernest-Charles" - aux "Rubriques Nouvelles" Le Roman de la Couturière - au "Mousquetaire" L’Étrange histoire de Jemmy Pampock - au "Tout Liège" La Littérature belge d'expression française. - signée Marcel Hervieu.] (p. 39)
Document
"Quelques revues"
La "jeune littérature" présente le spectacle admirable d'une activité passionnée. Incessemment elle se produit dans ces revues de couleurs et de formats divers, qu'on feuillette au plein vent des "Galeries de l'Odéon", qu'on lit dans le confortable du "chez soi".
Le lecteur s'étonnera de la divergence d'opinions qui divise la "jeune littérature". Il comprendra, s'il a l'intelligence de clarifier ses idées que cette divergence se ramène, somme toute, à deux points capitaux : nous dirons le point gauche et le point droit. La "continuation du Symbolisme" d'une part, le "retour au Classicisme" de l'autre. En marge, les titres imprévus d'écoles qui voudraient être créatrices, mais se rattachent nécessairement, soit au point gauche, soit au point droit : ainsi le Futurisme et l'Unanimisme (1).

Ces points comptent, indifféremment, des partisans, dont la sincérité de conviction suffit à excuser des erreurs autrement critiquables.

Je voudrais, ici, parler de quelques revues.
*
*   *
La "continuation du Symbolisme" ai-je dit. Cependant le Symbolisme est mort. L'heure est passée de la période de décadence ; on ne voit plus de poète véritable qui veuille encore allonger sur le papier, au hasard d'une inspiration fantasque, des lignes d'inégale longueur, avec les licornes enchanteresses, les vierges déflorées, les éphèbes pâles, les lys merveilleux, les clairs de lune mouillés, les amours maladives qui concouraient à cette espèce d'hystérie mentale dont naquirent tant d'oeuvres incompréhensibles : justement parce que l'auteur lui-même, dans le tohu-bohu de ses sensations sciemment faussées, ne pouvait se comprendre. Mais cette période de décadence, pour avoir produit deux grands noms, Verlaine et Mallarmé, a derrière elle laissé l'héritage d'une littérature de rêve et de brume, dont aujourd'hui encore des disciples fervents continuent l’œuvre.

La "continuation du Symbolisme" vaut qu'on la considère, à lire Vers et Prose et La Nouvelle Revue française. Encore de ces deux revues la première a-t-elle des tendances à passer du point gauche au point droit. Qu'on lise ses derniers sommaires. J'y vois, d'abord, les "Ballades" de M. Paul Fort. Ces "Ballades" n'appartiennent-elles pas beaucoup plus au "Classicisme" qu'au "Symbolisme" ? Par une fantaisie puérile, M. Paul Fort veut pour ses vers une typographie à laquelle la prose seule nous accoutuma. Mais si nous faisons exception de quelques licences poétiques, libérant le vers de certaines obligations un peu sévères, le vers de M. Paul Fort demeure d'expression purement classique.

Aux sommaires de Vers et Prose je vois encore des poèmes de M. Maurice du Plessys, naguère de l'"École Romane", et de M. Julien Ochsé, lequel évolue du vers libéré de "Entre l'heure et la faux" au vers régulier de "Profils d'or et de cendre". Classicisme, cela. Et Classicisme également les gloses ingénieuses, ironiques un peu, de M. Émile Godefroid.

Il est vrai que la venue toute récente, de M. Alexandre Mercereau à la direction littéraire de Vers et Prose me fait craindre qu'avec lui il ne donne un droit d'accès quasi-officiel aux poètes de l'ancienne "Abbaye" : Jules Romains, Georges Duhamel, Charles Vildrac, René Arcos. Il est vrai encore qu'au dernier numéro on lisait des "contes" symbolistes tout à fait de M. Rémy de Gourmont. Mais M. Alexandre Mercereau est un excellent lettré ; on sait le dévouement qu'il apporte aux récitations poétiques, éclectiques intelligemment, du "Salon d'Automne". Quant à M. Rémy de Gourmont, il n'est pas de la "jeune littérature" dont il sied que je m'occupe seulement ici, et ses contes, pour être, tant par la conception que par la réalisation, imprégnés de symbolisme déliquescent, n'en sont pas moins délicieux, caprices d'un esprit divers, toujours averti.

M. André Gide n'est point non plus de la "jeune littérature". Mais il a groupé, avec M. Jules (sic) Copeau, quelques-uns de ses meilleurs membres à la Nouvelle Revue française.

Il entretient donc avec elle les plus courtoises relations - quand il veut bien ne pas passer au crible les œuvres de jeunes poètes lesquelles, si elles ne justifient pas absolument la faveur dont on se plut à saluer leur aurore, ne méritaient pas les "abattages" rigoureux - méchants semble-t-il - de M. André Gide. Et après que l'auteur de la très admirable Porte étroite décoche des flèches empoisonnées à ces jeunes poètes : Maurice Levaillant, Edmond Gojon, après, surtout, qu'il s'en prenne à M. Rémy de Gourmont, qui fut son maître, et l'un de ses premiers entremetteurs auprès du public, l'on ne s'explique guère que M. André Gide ne reconnaisse pas à M. Faguet le droit d'abattre - par des moyens tous semblables aux siens - Baudelaire par exemple.

Ceci n'est point pour défendre M. Faguet. J'ai pour ce vulgaire bâcleur de copie, devenu le Ponson du Terrail de la Critique, tout le mépris possible. Il mériterait, s'il existait une justice ès-littérature, qu'on l'exécutât publiquement. Et je demanderais la confiscation, non de ses biens, mais de ses œuvres. Les nourritures indigestes qu'il vomit, d'une plume fatiguée, sont des menaces pour l'enseignement des générations prochaines. On frémit de penser qu'un jour peut-être on voudra faire comprendre, et Platon, et Nietzsche, au travers des commentaires qu'un critique d'impuissance et de bêtise, autour de ces cerveaux magnifiques, a dressé en autant de lignes à tirer.

Mais je ferme la parenthèse.

Deux jeunes revues Pan et L'Ile Sonnante continuent le Symbolisme. Les sommaires de Pan sont variés. M. Jean Clary, qui en est le directeur avec M. Marcel Rieu, dont j'aime les "contes" bien croqués y donne des vers ultra-libres en même temps qu'il accueille les beaux sonnets, impeccables, de M. Abel Léger, poète délicat. A ses sommaires vous rencontrerez, outre M. Georges Régnier, des poètes comme le doux Touny-Léris (sic), disciple immédiat de M. Francis Jammes, Émile Cottinet, Fernand Divoire, André Spire, Théo Varlet, Louis Mandin, Roger Allard. Et encore M. Guy Lavaud, dont la Muse élégiaque souvent surprend, mais souvent enchante.

Nous retrouverons ces poètes à L'Ile Sonnante de M. Michel Puy. En plus, M. Edouard Gazanion, le poète élégamment raffiné des Chansons pour celle qui n'est pas venue. M. Tristan Derême, dont les poèmes acrobatiques tiennent tout ensemble, tant ils ont de grâce et d'esprit, de Théodore de Banville... et de M. Franc-Nohain. Enfin M. Louis Pergaud, dont les Histoires de bêtes justement remarquées par les Dix - stupidement éreintées, par quelque jaloux - constituent l'un des livres les plus curieux d'aujourd'hui.

Le Feu auquel vient de s'adjoindre La Revue des Lettres et des Arts de M. Jean Veillon, est intéressant par les diverses chroniques de M. Jean Florence, de M. Tancrède de Visan, de M. Émile Henriot.

Voilà pour le point gauche. Je passe au point droit.
*
*   *
Le "retour au Classicisme" est solidaire du "mouvement d'Action Française". Je ne considèrerai point ici les tendances politiques d'un mouvement dont les forces s'emploient à une restauration monarchiste. République ou Monarchie, cela aujourd'hui me laissera indifférent. Et cependant, comment faire abstraction de toute opinion, lorsque M. Jean-Marc Bernard, en conclusion de son "Discours sur le Symbolisme" s'écrie : "Politique d'abord !"

Les écrivains qui défendent le point droit sont les disciples certains de M. Charles Maurras. Il n'est pas nécessaire, je pense, d'insister sur le nom de M. Charles Maurras. L'avenir de l'Intelligence est un monument impérissable, son auteur un de ces hommes auxquels une vie entièrement probe, un esprit entièrement désintéressé, ont prévenu les discordances véritables. Le mouvement d'Action Française est l’œuvre même de M. Charles Maurras : il en incarne, vivant, le principe. Un peu plus de dix années M. Charles Maurras, à la Revue encyclopédique Larousse tint la critique des œuvres nouvelles. Déjà il était le défenseur du "Classicisme" et, par opposition, l'adversaire terrible du Romantisme, comme de toute œuvre dans laquelle il en relevait l'influence. Voyant, dans le fond essentiel du "Symbolisme" non du tout quelque chose de surprenant par une exceptionnelle nouveauté, mais au contraire une décadence de l'extrême fin du Romantisme, il lui fut impitoyable. Alors tout le succès allait aux écrivains étrangers : à Maeterlinck, à Verhaeren, comme à Viélé-Griffin (sic), à Gustave Kahn. Contre cette littérature "métèque" qui prétendait écraser notre littérature nationale, et s'opposait diamétralement au génie français, M. Maurras mena, de front, l'attaque. S'il ne vainquit pas complètement l'élément étranger - la "continuation du Symbolisme" en est la preuve - du moins M. Charles Maurras, critique stratégiste, par la puissance d'articles qui sont autant de batailles savamment conçues, créa une génération proche de la victoire : la "jeune littérature" du point droit.

Les disciples de M. Charles Maurras, nourris de sa critique, pleins de sa pensée, nous ont donné La Revue Critique des Idées et des Livres. Je n'hésite pas à proclamer M. Henri Clouard et M. Eugène Marsan, comme les meilleurs esprits critiques de la "jeune littérature". Nous leur devons des articles excellents de savoir, de pondération et de grâce. Qu'on lise, de M. Henri Clouard, "Les Mauvais Maîtres" et qu'on lise, de M. Eugène Marsan, les pages qu'il écrivit à l'occasion du centenaire de Musset, on m'accordera raison.

Je cite, en passant, M. André du Fresnois, pour ses articles, M. Pierre Gilbert, dissipateur des "Nuées" et M. Henri Lagrange, pour sa remarquable étude sur "Jean-Christophe et M. Romain Rolland".

A ce que La Revue Critique des idées et des livres peut présenter à certains d'un peu sévère, Les Guêpes ajoutent l'esprit. On connaît les pages de M. Jean-Marc Bernard, par ailleurs excellent poète, et celles de M. Maurice de Noisay ; on connaît encore les "épigrammes" de M. René Dumaine, qui piquent le plus joliment du monde, et les fantaisies spirituelles de M. Jean-Charles-Emile-Rey. Le Divan constitue sous sa couverture pimpante, une petite anthologie de proses et de vers. M. Henri Martineau ne semble pas "classiciste" absolument lorsqu'il publie des vers qui continuent, sinon par la forme du moins par la pensée, le nébuleux du Symbolisme. Mais il a lui-même donné une mince plaquette Apparition qui contient des strophes simplement admirables. Sans doute elles furent écrites sous l'inspiration visible des Stances. Mais une inspiration produite par Moréas ne peut être que bienfaisante. Et c'est le cas excellemment.

La Revue du Temps Présent, Les Rubriques Nouvelles, La Renaissance Contemporaine, La Plume politique et littéraire sont toutes d'importantes revues. La dernière, qui rallie les noms de Robert et Georges Vallery-Radot, Philippe de Brémond d'Ars, François Hepp, est plus déterminément "classiciste". On sait qu'elle poursuit présentement une "Enquête sur la résistance à l'esprit allemand".

On voit tous les noms aux sommaires des Rubriques Nouvelles : Nicolas Beauduin, Gaston Sauvebois, Alexandre Chignac, Abel Léger, André du Fresnois, Jean Florence, Manoël Gahisto, et souvent ceux de deux écrivains Belges : Henry Maassen, le poète des Marches arides, et G.-M. Rodrigue. Les articles de M. Nicolas Beauduin, particulièrement, m'incitent à rattacher Les Rubriques Nouvelles au point droit. M. Nicolas Beauduin qui est notre plus grand poète présent, publie encore une petite "gazette d'études critiques" dans laquelle il dessine, d'une  plume intéressante, des croquis d'auteurs divers. Il nous a donné un "Maurice Barrès". Nous attendons un "André Gide".

La Renaissance Contemporaine qui donnait récemment le beau poème dramatique de M. Paul Vérola Zara-Thustra publie, à chaque numéro, une très intelligente et très utile "Chronique poétique" de M. Robert Veyssié. Nous y lisons encore, la "Revue des Revues" de M. Gaston Sauvebois, des articles de M. Jean Thogorma, de M. Henri Allorge, de M. Jean Huré, et nous nous amusons fort du très spirituel "microcosme" de M. Georges Martin, qui caricature ingénieusement quelques écrivains notoires.

Les sommaires de La Revue du Temps Présent sont très unis. M. Ch.-F. Caillard, M. Albert de Bersaucourt, M. Ch. Chabault, y tiennent bienveillamment la chronique des livres. C'est à La Revue du Temps Présent que nous devons d'admirer des poètes jusque-là inconnus, François Mauriac, Dominique Combette, Noël Noüet.

Mais je lui reprocherai de prétendre avoir sa place "entre toutes les mains". Ainsi un nouveau grand quotidien se refuse à imprimer les mots d'"amant" et de "maîtresse" ! Tout cela, pour n'offenser, paraît-il, nulle pudeur. Mais quelle pudeur ? Veut-on parler des jeunes filles ? En ce cas, c'est voir des vierges là où il n'y en a que de demi. Sinon toutes du moins beaucoup. La jeune fille, par le mélange de savoir et d'ignorance, de jeunesse candide et d'expérience avertie, qui fait son âme, est la pire des femmes. Mais on ne la considère jamais exactement. On veut voir dans toutes ces aimables cousines dont notre jeune âge animait ses premières secrètes flammes.

Ceci n'est point pour critiquer La Revue du Temps Présent. Je reconnais bien volontiers que tel roman pudique comme les Amies de M. Louis Haugmard, comme aussi La jeunesse sociale de Jean Venables présente un très grand charme. Et je dirai combien de joie j'éprouve à lire les contes de M. Bernard Combette, qui nous narre des impressions vécues dans l'imprévu tragique des contrées lointaines. Je placerai ces contes, dans notre littérature exotique, tout à côté des contes de M. Pierre Mille. Et dans ma pensée je ne saurais faire à M. Bernard Combette de compliment qui fut meilleur.
*
*   *
En marge du point droit et du point gauche, disais-je au début du présent article, il y a les écoles soi-disant libres. Mais j'ajouterai : le foyer brillant des revues mixtes.

En effet, à quel point rattacherais-je celles que je vais dire ?

Les Marges, naguère l'unique propriété de M. Eugène Montfort, rallient aujourd'hui Pierre Leguay, Guillaume Apollinaire, Jean Viollis, Marc Lafargue, Michel Puy, Louis Rouart. - Les Marches du Sud-Ouest aux destinées desquelles préside M. Olivier Bag, veulent faire œuvre de décentralisation. A son premier sommaire, paru ces temps-ci, nous lisons une Enquête sur M. Vielé-Griffin, pleine de très intéressantes réponses, des vers de M. André Lafon, le poète de La Maison Pauvre et de M. Francis Eon. Notons encore les diverses chroniques de M. Olivier Bag. - L'Art Libre également décentralisateur, nous donne des proses de M. Joseph Billet. - L'Effort nous présente des études de M. Jean Richard et de M. René Georgin. - Les Loups, sous la conduite du bon et beau poète de La Chanson du Bronze A. Belval-Delahaye, "hurlent" des vers sonores à la Muse fidèlement aimée. - Les Nouvelles de la République des Lettres sont pleines de l'esprit verveux, mordant, qu'y prodigue M. André Salmon, poète d'une originalité grande... Mais il est encore bien d'autres revues. A celles que je viens de citer, comme à celles que je ne nomme pas, faute de place, je consacrerai un deuxième article.
Mars 1911
GASTON PICARD.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire