D’abord une erreur d’optique, une apparence prise pour une réalité. Enfin peu à peu la connaissance de ce qui est, la recherche de la vérité esthétique. Une conscience qui s’interroge, un esprit qui cherche à découvrir, à travers les fallacieuses promesses des manifestes et des doctrines, le véritable sens de l’activité intellectuelle contemporaine.
Petit drame de la pensée, où tour a tour collaborèrent de grands ainés comme Émile Bernard, Paul Claudel, Maurice Barrès, Francis Vielé-Griffin, Camille Mauclair, Émile Verhaeren, Charles Grolleau, Francis Jammes, Saint-Pol-Roux, Paul Adam, Louis Bertrand, Rosny ainé, Comtesse de Noailles, Robert de Souza, Fernand Gregh, André Gide, Maurice de Faramond, Henri Ghéon, Jean Royère, Marcel Coulon, Paul Fort, Eugene Montfort, et les « jeunes » d’alors, ceux de ma génération sacrifiée, tels que les regrettés Apollinaire, André du Fresnois, Jean Florence, Olivier Hourcade, Jean-Marc Bernard, Auguste Aumaitre, Jean Pellerin, Jean Thogorma, Louis Pergaud, Henri-E. Gounelle ; puis Trancrède de Visan, Canudo, Jean de Bosschère, Émile Henriot, Louis Mandin, Henry Béraud, Marcel Ormoy, F. Divoire, Jean-Louis Vaudoyer, Henri Martineau, Henri Hertz, Francis Carco, Thierry Sandre alias Charles Moulié, Henri Strentz. Louis Thornas, Roger Frêne, Gaston Picard, Gaston Sauvebois, Jean Héritier, Alexandre Mercereau, Joseph Billiet, Henri Dérieux, G.-J. Gros, Robert Veyssié, William Speth, Jean Muller, etc.
Vous me demandez quelles étaient les tendances des Rubriques Nouvelles et de la Vie des Lettres qui immédiatement lui fit suite ?
Ces tendances s’orientaient vers l’expression du Paroxysme Moderniste et de la Beauté Neuve, née des applications mécaniques de la Science.
Les raisons qui nous unirent : Une façon à peu près identique de penser et d’envisager la société contemporaine et l'art de notre époque.
Pas de conformisme, mais une sorte de même atmosphère vitale ; un même besoin de tout connaitre, de tout sentir et d’aimer plus ; une même soif d’exaltation au-dessus de nous-mêmes...
Au-dessus des appétits et des calculs, nos voix s’étaient croisées et harmonisées. Comme elles possédaient le même timbre, ayant les mêmes angoisses et les mêmes espérances, elles s’étaient reconnues, prolongeant ainsi, sur le front des foules modernes, leur symphonie vivante et multiple, transposition sur un plan supérieur des réalités et des aspirations d’aujourd’hui.
C’est qu’au lieu de fuir la vie (comme les Romantiques et les Symbolistes), nous la cherchions dans ses manifestations en apparence les plus contradictoires et dans les domaines les plus divers.
Sans dédaigner les littératures dites anciennes, nous pensions que les apports de l’heure présente étaient d’une réalité autrement importante. Les grands courants secouant le monde moderne nous passionnaient plus puissamment que l’étude des cataclysmes du passé.
Ce que nous voulions c’était imprégner l’art de vie, lui insuffler une force nouvelle, abondante et généreuse. Un art qui s’isole en soi étant bien proche de la décadence et de la mort.
On nous demandait souvent : Êtes-vous classiques ? Nous répondions que nous n’en savions rien, mais que, dans tous les cas, ce n’était pas à nous de le proclamer. Nous considérions qu’un vrai classicisme n’a jamais été rétrospectif. Un classicisme d'imitation ne pouvant être qu’un faux classicisme.
Barbares alors ? Nous ne le pensions pas. Mais nous eussions mieux aimé être de jeunes hommes en marche vers ce qui naît et grandit, vers un demain de plus en plus formidable, que les décadents moutonniers et fin de race des littératures sur l e déclin. Vivants, nous ne nous résignions pas à la mort, même élégante et parfumée.
Paroxysme, exaltation lyrique, foi, enthousiasme, étaient pour nous identiques. C’étaient les droits de l’inspiration que nous proclamions.
La poésie se révélait à nous avec la grandeur d’une religion, elle donnait à la vie une valeur absolue. Nous voulions en elle retrouver ce grand courant d’illumination spirituelle, si longtemps interrompu, retremper nos espoirs dans une source de joie multanime, perdre le sentiment de notre petitesse on participant à une vérité plus haute, sentir notre moi individuel se grandir de l’apport des co1lectivités, être cette collectivité elle-même avec ses appétitions et sa soif insoupçonnée de révélation religieuse.
Nous sortions ainsi de ce que le Symbolisme gardait d’ésotérique, (tour d’ivoire, attitude inhumaine) s’étant dans son ensemble éloigné de la nation vivante et ayant « séparé l’idée de l’art de l’idée d’une certaine fonction ou destination » pour nous élever vers une approximation sans cesse plus audacieuse de « l’idée de vie ».
Le paroxysme, disions-nous alors, est l’objectivation des états radiants de l’âme. Loin d’envisager la poésie comme une consolation de la vie, une fantaisie rimée, le passe-temps des heures oisives, ou une pause dans l’effort quotidien, nous y voyions au contraire, selon la juste expression de l’un de nous, la « manifestation la plus aiguë de cette vie et de cet effort ».
Si j’estime que les Rubriques Nouvelles et La Vie des lettres (1re série) ont eu une influence certaine sur les idées du temps ?
Oui, les idées émises dans les Rubriques Nouvelles et La Vie des Lettres (1re série) ont eu une influence certaine sur les idées du temps. De nombreuses études sur Le Paroxysme Moderniste ont paru dans les journaux et les revues du monde entier. Notre influence sur la littérature d’aujourd’hui est tout aussi manifeste pour qui sait voir.
Sans doute la guerre, en rompant les conditions d’évolution normale, a permis un retour offensif du pire symbolisme, un symbolisme de dégénérescence, de fatigue mentale, d’impuissance créatrice, ce qui a donné à quelques attardés de notre génération des possibilités d’éclosion qu’ils n’auraient jamais eues dans une autre période.
Ce n’est pas naturellement dans les incohérences de ce symbolisme de troisième cuvée que l’on retrouvera les influences de cet art vivant puissamment moderniste. Mais c’est dans quelques rares œuvres, construites, équilibrées, et douées d’universalité, qu’on les rencontrera, exprimées dans une technique véritablement nouvelle. Sorte de grand orchestre moderne développant jusqu’au paroxysme toutes les possibilités acoustiques ; et qui est à la poésie traditionnelle ce qu’est la polyphonie à l’ancienne musique à l’unisson.
Parmi les idées qui ont triomphé, nombreuses sont celles qui ont été développées dans maints articles des Rubriques Nouvelles et de La Vie des Lettres (1re série). Exposé d’un classicisme moderniste contre un classicisme d’imitation. Expression d’une beauté neuve. Volonté d’objectivité, d’universalité, de précision, de méthode et d’équilibre constructif. Désir de vitesse, conquête du temps et de l’espace. Soif de plénitude. Goût du tragique quotidien et de la réalité vivante. Sens de la vie collective des peuples et des individus. Sens des connexités et de l’omniprésence mondiale. Découverte du Monde Nouveau.
Vœu d’une technique encore inédite, permettant une expression nouvelle, en conformité avec les aspirations de notre époque. Technique qui m’a demandé plus de dix années de recherches, et qui est celle du Poème synoptique sur plusieurs plans. Ordre complexe. Simplification d’un instrument perfectionné. Importance des techniques. On sait, comme l’écrivait encore dernièrement l’un de nous, que « la façon dont un sujet a été traité renseigne plus précisément sur la sensibilité d’une époque que le sujet même qui lui a servi de prétexte ».
L’emploi des procédés domine le sujet, la technique lui impose sa volonté, lui fixe un visage. La technique commande l’expression.
Il est facile, par ce que nous en avons dit plus haut de voir à quoi se rattache la sensibilité de notre époque ; quels sont non seulement ses vœux d’ordre vivant mais sa précise volonté.
Il est fort délicat pour moi, on le comprendra aisément, de désigner quelles sont les revues existantes qui illustrent de telles conceptions d’art et participent à notre vœu de renouvellement. Mais je dirai que La Nouvelle Revue Française, qui forme un carrefour d’ailleurs mal délimité où se rencontrent et même s’opposent de multiples tendances, allant des plus régressives déliquescences au néo-classicisme le plus étroit, me semble toutefois, lorsque s’y expriment deux ou trois intelligences de premier ordre, comme André Gide ou Henri Ghéon, voire Jean Paulhan, marquer nettement cette volonté d’équilibre constructif, cette recherche de règles organiques nouvelles, de nouveaux modules régulateurs, nécessaires à l’établissement d’un ordre vivant, base d’un classicisme moderniste.
L’Esprit Nouveau (sauf dans les défaillances d’ailleurs passagères de sa partie littéraire) s’oriente aussi vers cette Beauté Neuve, expression de l’Époque, que le Paroxysme moderniste des Rubri ques Nollvelles s’efforçait déjà de définir avant 1914.
La Revue de l'Époque, Les Feuilles Libres, Les Écrits du Nord, 7 Arts, de Bruxelles, Montparnasse, Rythme et Synthèse, La Bataille Littéraire, La Nervie, Créer, etc., qui sont parmi les meilleures revues de ce temps, je veux dire celles où s’élabore l’esprit créateur de la présente génération, me semblent plus ou moins représentatives de cet idéal d’art nouveau.
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