dimanche 19 décembre 2010

HAN RYNER & LES LOUPS

Dans l'espoir de dénicher un scanneur qui puisse croquer d'un coup de mâchoires ce Journal d'action d'art, de haut format, je reproduis - pour tromper l'attente - la réponse que Han Ryner, l'esprit inspirateur de la meute, donna en 1924 à l'enquête de Maurice Caillard et Charles Forot sur les revues d'avant-garde. Un heureux moyen pour moi de signaler aux amateurs de petites revues que le GROGNARD vient de consacrer son indispensable dernière livraison à l'auteur du Petit manuel individualiste. L'actualité rynérienne est, par ailleurs, abondante. On s'en rendra compte en cliquant ici.
HAN RYNER
Votre passionnant questionnaire me parvient, malheureusement, dans une période tout ensemble de mauvaise santé et de surmenage.

Or, pour répondre convenablement, il me faudrait trouver la force - ah ! la force... - de méditer et de classer mes souvenirs. Et il me faudrait trouver le temps - ah ! le temps... - d'étudier la collection considérable de la revue sur quoi il vous plaît de m'interroger.

Groupe et revue, Les Loups formaient une grande amitié, un accueil facile et une vaste tolérance, non point une école. Peut-être en germe, quelques doctrines communes. Je m'étais donné pour mission dans le groupement d'empêcher toute cristallisation idéologique, de protéger la vie multiforme et multiplement changeante, de disperser, avant même qu'elles fussent tout à fait exprimées, les formules qui appauvrissent et qui paralysent. Nous savions nettement quelques-unes des choses dont aucun de nous ne voulait. Je m'efforçais que nulle direction ne devînt tyrannique, que nul tempérament ne fût considéré comme le seul type artistique, que personne n'exigeât d'être suivi, que personne fût trop tenté de suivre. Autant qu'il dépendait de moi, Les Loups restèrent une association d'uniques. Chacun s'exprimait librement ; pendant le temps que l'un de nous s'exprimait, les autres formaient le plus amical et le plus ouvert des publics.

Si quelqu'un, après coup, vous définit Les Loups par des affirmations, méfiez-vous. Nous étions d'accord sur la nécessité de travailler chacun sans penser aux autres. Et aussi sur quelques négations.

Peut-être nos négations étaient-elles d'ordre éthique plus souvent que d'ordre esthétique. Nous méprisions le mercantilisme, le bas arrivisme, la vanité gonflée et dédaigneuse des parvenus de lettres. En art, nous étions unis pour combattre en faveur de toutes les libertés, contre toutes les écoles, ces rapetisseuses. Une école, c'est une censure.

Nos poètes étaient la plupart, par tempérament, des néo-romantiques. Mais toute sincérité nous était sympathique, qui ne se montrait pas intolérante aux sincérités voisines ; nulle recherche ne nous effrayait, pourvu qu'elle évitât la stupidité ou la grosse malice d'affirmer : Je suis le seul art du présent et de l'avenir.

Je suis de ceux, mon cher confrère, auxquels nulle idée ne paraît jamais triompher et qui ne souhaite le triomphe exclusif d'aucune. La vérité est trop complexe pour être exprimée totale par un homme ou par une doctrine. La beauté est une richesse infinie que je ne cherche tout entière ni dans une seule esthétique ni dans un seul livre. Que toutes les idées - j'entends les vraies, les idées individuelles, non point ces dogmes qu'on fabrique en commun avec de la tyrannie et de la docilité, à coups de votes ou à coups de bottes et qui sont, au cas les plus favorables, des cadavres d'idées - que toutes les idées se maintiennent, se continuent, se poursuivent - non ! pas jusqu'au bout, il n'y a de bout que pour les impuissants - se poursuivent dans l'infini...

La gloire des Loups, c'est d'avoir donné un exemple constant de sincérité et d'amour de la beauté multiforme. Permettez-moi de ne nommer aucun des ardents jeunes gens qui formaient le groupe et collaboraient à la revue (I). Pour n'être pas trop injustement incomplet, il faudrait des recherches dont je n'ai pas le loisir. Apprécier tant d'hommes si différents, si peu conformistes, inégaux en puissance mais tous de bonne volonté, nécessiterait un effort critique dont la grippe me rend plus incapable encore qu'à l'ordinaire.
(Belles-Lettres, 6e Année, N°62-66, décembre 1924, p. 188-190)
(I) Qu'il nous soit permis de citer ici, quelques-uns des poètes du groupe : Pascal Bonetti, R. Christian-Frogé, Roger Dévigne, Charles Dornier, Henri Galon, C. Gandilhon Gens-d'Armes, Édouard d'Ooghe, Jean Ott, Marcel Pays, Jean Rayter, Pierre Rodet, Hélène Séguin, André Tudesq, Robert Vallery-Radot, Gabriel Volland, Gaston Armelin, Nicolas Beauduin, Marius Boisson, Léon Bocquet, G. Demnia, Émile Dousset, Hector Fleischmann, Albert Giraud, Émile Guérinon, S.-Ch. Leconte, M.-C. Poinsot, Jean Rameau, Ernest Raynaud, Han Ryner, Édouard Vendéen, etc... (Note des enquêteurs.)

3 commentaires:

  1. Merci !
    Et n'hésite pas à reprendre la biblio de L'Art social sur ce blog.

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  2. Oups ! j'ai confondu L'Art social et Les Partisans...

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  3. Je ne manquerai pas de cueillir quelques infos sur le blog Han Ryner, cher C., lorsque viendra le moment de décrire les 5 numéros des PARTISANS qui attendent dans ma bibliothèque. Quant à L'ART SOCIAL, le lapsus est pertinent, car j'aime beaucoup cette petite revue là, et elle m'occupera le temps de quatorze billets.

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