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Il n'est pas fréquent qu'une petite revue - a fortiori
lorsqu'elle se réclame de la jeunesse - ouvre, en son sein, un débat sur la pertinence de son existence. Il est moins fréquent encore que la rédaction ne tranche pas en faveur de celui qui la défendra le mieux. C'est donc tout à l'honneur du Quadrige d'avoir, dans sa première livraison, lancé ce débat, qui ne sera toutefois guère poursuivi. Les contradicteurs sont Jean Lemoine et Roland Manuel, deux hommes de l'entourage de Gaston Picard, qu'on retrouve aux sommaires des revues dirigées par ce dernier, l’Œil de Veau et l'Heure qui sonne. Picard était, bien entendu, l'un des quatre chevaux tirant le Quadrige
. De Jean Lemoine, nous ne savons presque rien, sinon qu'on le rencontre, çà et là, dans quelques autres petites publications périodiques de l'époque, plutôt occupé de critique d'art. De Roland Manuel (1891-1966), nous en savons davantage, puisque, élève de Vincent d'Indy puis de Maurice Ravel, ami d'Erik Satie, il deviendra lui-même compositeur. Le mieux est donc encore de leur donner la parole, parole d'autant plus rare que la BnF semble ne pas conserver de collection ni même de numéros du Quadrige
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"Pour et contre les Jeunes Revues"
I. - Pour les Jeunes Revues
Les écrivains, au temps jadis, ne prenaient la plume que tardivement, mais leur talent perdait en enthousiasme ce qu'il gagnait en expérience... et puis ils avaient le temps ! Aujourd'hui nous sommes pressés. En nous naît à peine le goût des belles-lettres qu'il faut être écrivain ; la spécialisation est là qui nous guette, la littérature est un temps perdu si ce n'est pas une vocation. Il faut donc chercher à se faire connaître et voilà une revue fondée. C'est ainsi qu'à l'âge où nos aïeux brûlaient des essais maladroits nous livrons les nôtres à la publicité. On accuse les jeunes revues de médiocrité, c'est l'époque qu'il faut seulement incriminer.
Cette publicité est restreinte d'ailleurs - c'est une erreur commune à tous les auteurs de croire qu'ils révolutionneront l'univers, les jeunes n'y échappent pas - cependant la jeune revue a sa fin en soi. Tout le monde sait qu'elle est lue entre intimes, parfois même entre rédacteurs. Sa publicité est nulle, son administration peu importante, sa vie la plupart du temps éphémère. La jeune revue est ignorée de ses grands confrères, avec lesquels elle n'a même pas de commun, la plupart du temps, l'époque régulière de sa parution. Qu'est-elle en somme ? Pour les uns le jeu d'un âge où l'on joue sérieusement, pour les autres, une école.
A l'âge où les tendances se précisent, alors que la division du travail impose un but précis à notre activité, il est certaines aspirations insatisfaites d'infini, de beauté, d'espoir qui cherche à s'épancher, ce n'est pas le moins noble rôle de la jeune revue de capter ces déchets d'une époque trop exclusivement pratique. De ces aspirations mal définies, elle se fait une parure qui la garde de l'uniformité banale de ses sœurs aînées. La jeune revue est rehaussée de sincérité, elle est toute parfumée de ferveur naïve, elle a la tendresse des jeunes audaces, elle a l'éclat des rires innocents, elle a la spontanéité des pleurs printaniers. Aussi jeter sans lire une jeune revue, c'est vraiment négliger de connaître des cœurs !
Les jeunes revues ne sont pas seulement des divertissements à l'usage d'une élite, elles sont aussi les meilleures écoles de l'écrivain. L'impression donne à l'auteur une toute autre idée de son œuvre. Il n'y a pas de meilleure formation, c'est une épreuve dans laquelle le seul écrivain-né triomphe du premier coup. Le style des jeunes revues s'en ressent, mais c'est tant mieux et ne prouve qu'une chose : c'est que les vrais talents sont rares. Quant aux idées, la jeunesse est violente, elle rêve de chambardements, de réaction. Il ne faut pas en vouloir aux jeunes gens d'avoir une opinion sans la motiver parfois, n'est-ce pas déjà bien beau qu'ils en aient une ? et puis, c'est l'âge du lyrisme ! Ils sont durs, mais, vous le savez bien, ils sont généreux.
Ah ! les jeunes revues ! Ne jugeons pas sévèrement leurs résultats, leur vie ou leur mort, cela importe peu. Aimons-les, bonnes ou mauvaises, belles ou laides, grandes ou petites, elles contiennent vraiment le meilleur de vous-mêmes : la jeunesse.
Et si elles sont nombreuses, tant mieux ! cela prouve que parmi nous persiste encore l'amour du beau, l'enthousiasme et les sentiments désintéressés !
Jean LEMOINE.
II. - Contre les Jeunes Revues
Il vous sera presque sûrement refusé de connaître les raisons de mon aversion pour les jeunes revues puisque vous n'ouvrirez pas le Quadrige. En effet, on ne lit pas les jeunes revues et là peut-être le seul argument qu'on puisse faire valoir pour leur défense.
A l'âge où la solitude est si nécessaire à l'éclosion d'un talent, ces petites publications facilitent la réalisation hâtive de rêves qui gagneraient à se développer à l'écart - telles ces pommes qui, tôt cueillies, mûrissent en l'ombre du fruitier. Désignerai-je plus clairement ce littérateur, poète, romancier, esthéticien, qui, célèbre à seize ans, roule aujourd'hui sous un chef encore jeune, des pensers de nonagénaire affaibli ? Je pense que sa mort nous indiffèrerait alors que nous demeurerions inconsolables de la perte d'un Rodin. Cet homme est une des plus lamentables victimes des jeunes revues, il y en a d'autres : ils vous entourent.
Il faut décidément considérer comme néfaste à l'art de France cette tendance toute contemporaine à l'encouragement des jeunes, je la tiens pour plus dangereuse encore que cette odieuse tyrannie des vieillards qui ne sut arrêter l'envol glorieux du génie d'un Maurice Rovel [sic pour Maurice Ravel].
J'ajouterai que l'atmosphère des petits cénacles est pernicieux au plus haut point : les basses et contagieuses passions de l'homme de lettres, l'envie, la vanité, la cupidité, la soif du succès, déplaisantes chez les hommes mûrs, sont insupportables chez les jeunes gens, parce qu'elles sont d'un cynisme, d'une inélégance toujours sans excuses.
La plupart d'entre nous perdent leur jeunesse en réalisations mal venues, alors qu'ils devraient s'essayer à trouver leur voie dans le silence de l'étude ; les jeunes revues, si accueillantes, trop accueillantes, annihilent cet admirable instinct de lutte et font rayonner autour de fausses gloires et de faux génies ces petites adulations ridicules faites pour désagréger le plus sûr talent, la plus forte sensibilité. Ne pensez-vous pas que tous ces jeunes gens feraient mieux d'employer les subsides qu'ils consacrent à telle petite revue qui les reçoit dans son "comité de rédaction", à l'achat de quelques livres, les œuvres de l'admirable Paul Claudel, par exemple, voire même une Petite grammaire française à l'usage des commençants ?
Roland MANUEL.
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